Pendant près de vingt ans, je l’ai vu arriver dans les studios de la Chaîne III, les dimanches de Pentecôte, Pâques et tous les autres jours de fêtes chrétiennes. La silhouette robuste et généreuse. La démarche dans le même temps assurée et feutrée. Pas un bruit, car l’homme à la barbe grise savait ce qu’était et ce qu’est un studio de diffusion radio. Discret, il patientait dans un coin, derrière le technicien et la console, attendant de venir dire dans le micro son message d’amour et de paix aux croyants. Et pas seulement d’ailleurs aux protestants et aux chrétiens, mais aussi et surtout à tous les Algériens en peine. En théorie, son arrivée dans le studio signifiait pour moi, qui y était depuis 6 heures du matin, la délivrance et la possibilité de grimper au sixième étage, griller une cigarette, boire un thé et récupérer de la fatigue avant le prochain rendez-vous d’info. Pourtant, je restais là, quelques minutes encore à écouter le pasteur Johnson. Je ne l’ai jamais, JAMAIS, entendu hausser le ton d’une octave, s’emporter comme certains «meskounines» de ma connaissance ni appeler à la violence. Je le dis tout net : je ne suis pas un acharné de la religion. Et c’est un euphémisme. Mon rapport à Dieu m’est personnel, m’appartient. Ce n’est donc pas le sujet. Mais je ne peux pas ne pas témoigner aujourd’hui de l’œuvre d’amour, de fraternité et de paix accomplie en Algérie par le pasteur Johnson. Je ne peux pas simplement détourner les yeux et fermer mes oreilles à cette injustice, à cette hogra dont il est victime, lui le résident algérien, lui qui est en nos murs depuis un demi-siècle. On pourra me sortir tous les rapports de flics possibles, tous les détails des filatures et des écoutes téléphoniques des grandes oreilles de tous les corps de sécurité de ce pays. Ils ne vaudront rien, nada, walou devant ma conviction que cet homme est bonté et partage. C’est comme ça ! C’est ma profonde et intime conviction. Je n’oblige personne à s’y convertir. Comme le pasteur n’a jamais obligé personne à se convertir à sa religion. Il venait juste apposer ses mots sur nos plaies et nos souffrances. Et nous, les compatriotes de Benhadj et de Abassi, nous qui leur fournissons protection et passeports venons dire au pasteur Johnson «casse-toi d’ici !» C’est affligeant. Ce n’est pas juste. Au sens laïque du terme. Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue.
H. L.
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