Les Chrétiens du Nil, qui ont vécu par le passé des épreuves autrement plus dif­ficiles, s’attachent à faire mentir ces nouveaux prophètes de l’Apocalypse. Ils témoignent par leur présence, en Égypte, de la coexistence qu’il faut croire possible de la Croix et du Croissant, même là où ce dernier est dominant. Les Coptes, qui représentent encore 10 % de la population égyptienne – le nombre exact est sujet à polémique – forment en tout cas la première communauté chré­tienne du monde arabe. Dans une société régie, non par l’identité citoyenne mais par l’ap­partenance religieuse, leur situa­tion est d’une extrême précarité. Ils sur­vivent néanmoins, membres d’une Eglise minoritaire et souffrante qui puise dans le “n’ayez pas peur” christique la force de se battre pour la reconnaissance de ses droits.

Les Coptes sont libres d’aller à l’église, de pratiquer leur culte, de célébrer les mariages et les funérailles selon leur rite. Mais ils paient cette liberté, ou plutôt cette tolérance, au prix fort et sont, dans leur vie quotidienne, victimes de discriminations flagrantes.

La société égyptienne est gangrenée par l’inflation, le chômage et la cor­ruption. Tous souffrent, mais les coptes plus que les autres, du fait de leur religion qui s’inscrit en lettres de feu sur leurs cartes identité. Trouver un emploi, un logement, éduquer dignement leurs enfants relève, dans un tel contexte, du parcours du combattant. Même si le pouvoir a affirmé, à maintes reprises, que les coptes font partie intégrante de la nation, ils restent des citoyens de seconde zone, une minorité soumise au bon vouloir des exécuteurs de la loi. Or les coptes ont toujours tort et aucune tribune où faire entendre leur voix. Les rares chrétiens qui se sont présentés aux élections législatives de 2005 ont rapidement demandé à être rayés des listes des candidats. Trop de pressions, trop d’intimidations ont eu raison de leur détermination première.

La situation s’est récemment aggravée avec la montée de l’intégrisme musulman. Il arrive que des églises soient incendiées, des fidèles agressés, des jeunes filles enlevées et contraintes d’embrasser la foi musulmane. Le pouvoir tente, tant bien que mal, de protéger les chrétiens. Mais qui gouverne la rue en égypte  ? Les responsables politiques dont les photos ornent les murs des édifices publics ou bien, cachés dans leurs mosquées et leurs universités, les chefs religieux  ? En 2007, la police égyptienne pénétrait pour la première fois à l’intérieure de l’Azahr, la citadelle de l’Islam sunnite. Elle y dé­couvrait une véritable armée  : plus de 4 000 étudiants dûment endoctrinés qui se préparaient à passer à l’extrême.

L’objectif de ces mojahidines est clair. Ils veulent arrêter le temps, revenir à l’époque des califes et rétablir, de gré ou de force, le pouvoir religieux. Ce que confirmait dans La Croix du 9 novembre 2005, le secrétaire général des Frères musulmans, Mohammed Habib  : “Nous avons un programme. L’Islam est la so­lution et la bonne… si nous arrivons au pouvoir, la Charia sera appliquée.”

Certes, les Frères musulmans ne sont pas autorisés à se constituer en parti politique. Mais, infiltrés dans d’autres formations, ils ont aujourd’hui à l’assemblée nationale 87 député qui ne cachent plus leur appartenance à la confrérie. Leur influence ne cesse de progresser dans le peuple, auprès des plus pauvres qu’ils aident par leurs œuvres de bienfaisance, mais aussi de la classe moyenne, fragilisée par la crise économique, et de tous les syndicats. Pour contrer l’avancée de l’islamisme intégriste, le pouvoir égyptien s’oriente vers une réforme de la constitution et ouvre le débat sur la laïcité. Chrétiens et musulmans éclairés se retrouvent en effet dans la doctrine égyptienne selon laquelle “la religion est à Dieu et la patrie à tous”. Bien éloignée de cette déclaration de principe, la Constitution actuelle, tout en reconnaissant la liberté de culte, entérine les discriminations dont sont victimes les coptes.

Selon l’article 2, les principes de la charia sont la source de la législation et non, comme le précisait un article de 1971, une des sources de celle-ci. Elle consacre le statut avilissant de l’ancienne dhimitude dont certaines formes ont été à nouveau légalisées.

D’après l’article 103, al-Azhar est fi­nancé par l’État, donc par tous les contribuables y compris les coptes, dont l’Église, les institutions et les collèges ne reçoivent aucune subvention.

L’article 69 enfin stipule qu’il est in­terdit à un musulman de renoncer à sa foi. Celui qui contreviendrait à cette loi en se convertissant au christianisme pour­­rait, dans le cadre d’une application stricte de la charia, se voir condamné à la peine capitale.

Rappelons à ce propos la triste his­toire, révélée aux Français par le Figaro du 17 août 2007, de Mohammed He­gazi. Ce jeune homme de 25 ans, né mu­sulman, a voulu officialiser, après sa conversion au christianisme, son chan­gement de religion sur ses papiers d’iden­tité. Considéré comme apostat, il craint aujourd’hui pour sa vie et pour celle de son épouse. Même si le grand Moufti d’Égypte a récemment affirmé que la justice des hommes ne saurait se substituer à la justice divine, chaque jour ou presque la presse cairote se fait l’écho d’appels au meurtre. Si l’on en croit le quotidien Al-Messa’, les oulémas se seraient prononcés, contre le grand moufti, sur la nécessité de tuer l’apostat.

Les exemples de ce type ne manquent hélas pas. La presse égyptienne, qui jouit sous Moubarak d’une liberté de parole toute nouvelle, est pleine de ces affaires. Elles se font si nombreuses que, dans l’Egyptien aujourd’hui, Hamdi Rezk n’hé­site pas à parler d’une véritable guerre de l’apostasie. Une guerre où l’absurde le dispute au tragique. Le cas du jeune Mina est en ce sens exemplaire.

Mina a 16 ans. Avec ses camarades de classe, il se rend au bureau civil pour y obtenir le numéro national d’im­matriculation nécessaire à l’ins­crip­tion au baccalauréat. Et là, stupeur, un fonctionnaire lui apprend qu’il est musulman. Musulman car son père, dans le plus grand secret, a abandonné la religion chrétienne pour se convertir à l’Islam. Mina ne comprend pas  : il est chrétien depuis toujours, “il croit en Issa, il prie devant l’autel et demande la bénédiction de la Vierge Marie”. Le fonctionnaire s’entête, il ne veut rien en­tendre. Mina, fidèle à la foi de son baptême, refuse la carte que l’homme lui tend et qui le dit musulman. En un instant, la vie de l’adolescent bascule. Malgré de nombreux soutiens, il ne pourra passer son Bac. Il intente alors un procès au tribunal administratif. Qui le déclare apostat. Pourquoi apostat ? C’est la question posée par de nombreux intellectuels de toutes confessions. Où est la faute de ce jeune homme qui, jamais, n’a renié l’islam puisque, jamais, il ne fut musulman ?

Au gré des affaires, les tribunaux ad­ministratifs se réfèrent, tantôt à la Constitution qui autorise le changement de religion, tantôt au Coran qui le refuse. Ou plutôt qui le refuserait, car une sou­rate, que les intégristes préfèrent oublier, précise qu’il n’y a “pas de contrainte en religion”. Pour mettre fin au pouvoir dis­cré­tionnaire des juges, l’État doit s’en­gager, sans ambiguïté, dans le difficile combat pour la laïcité que les coptes appellent de leurs vœux. Les musulmans éclairés, qui vivent un islam ouvert et tolérant, souhaitent pareillement que chacun ait la liberté de penser comme il le veut et de croire comme il l’entend. Signe que l’intégrisme musulman n’est pas une fatalité mais le fait de fondamentalistes qui, pour par­venir à leurs fins, instru­mentalisent la re­­ligion.

Si le pouvoir peut résister aux com­bats d’arrière-garde que livrent les extré­mistes, la liberté religieuse ne sera plus un mirage, mais le fruit heureux de la laïcité. Consubstantielle à la démocratie, elle est la condition nécessaire à la coexistence sereine et pacifiée des Égyptiens chrétiens et musulmans. Encore faut-il s’assurer que laïcité ne signifie pas laïcisme… mais c’est là une autre histoire.