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Cet ouvrage, est consacré à l’analyse de la croyance des musulmans concernant la “vérité scientifique du Coran“. De nos jours, il s’agit de l’aspect le plus développé par l’apologétique islamique, le fond de la doctrine étant d’ordre littéraire, à savoir l’inimitabilité stylistique miraculeuse de l’un des trois livres “canoniques” de l’islam (les deux autres étant les recueils de Hadiths, et la biographie de Mahomet, la Sîrah). Cette doctrine (véritable dogme) a pour origine certains versets défiant les infidèles de produire un texte équivalent. L’extension du sens de ces versets à de nombreux autres conduit alors à l’affirmation que les découvertes scientifiques et technologiques occidentales, même les plus récentes, ne font que “vérifier” ce que le Coran a déjà énoncé (par exemple, cf. les liens hypertexte contenus dans le plan du site Les Miracles du Coran de Harun Yahya, auteur d’un livre de même titre).

Le texte des professeurs Dominique et Marie-Thérèse Urvoy a été rédigé selon les normes scientifiques de l’exégèse historico-critique des religions, dans le cadre de la tradition universitaire occidentale, caractérisée par une méthodologie rigoureuse, et des recherches objectives minutieuses. Il peut être considéré comme une recherche originale basée sur des données concrètes, associées à une exploration méthodique (le titre parle fort justement d’une enquête) de tous les aspects historiques, méthodologiques, littéraires, linguistiques, stylistiques, psychologiques, apologétiques de ce qui constitue un élément essentiel de la foi du musulman, de son histoire, et aussi de la théologie islamique. La valeur de l’ouvrage, en particulier la qualité et la richesse du contenu, peuvent se juger en remarquant que ses auteurs forment une équipe de recherche en islamologie de très haut niveau scientifique, alliant des compétences complémentaires de type pluridisciplinaire, identifiables à travers leurs nombreux ouvrages et articles. Parmi ces compétences, basées sur une profonde connaissance de l’arabe littéraire (qu’ils enseignent au niveau universitaire), acquise à la suite de très longs séjours dans les pays du Proche Orient, on discerne plusieurs spécialités: la philologie associée à la codicologie, la philosophie et la littérature arabe, l’histoire de la pensée et de la civilisation arabes, le Coran (son action dans la formation de la certitude du croyant, son intervention dans la psychologie de ce croyant), les divers aspects de la mystique musulmane, soit populaire, soit intellectualiste. Le livre est organisé avec une introduction suivie de 6 chapitres, traitant chacun un aspect du sujet, et d’une conclusion sous forme d’épilogue.

L’introduction est consacrée aux difficultés du passage de l’arabe au français pour le sens à donner à la traduction de i’gaz par “miracle” (pour l’inimitabilité du Coran), et à son interprétation par les différentes écoles théologiques. Dans le livre de Dominique et Marie-Thérèse Urvoy, le mot “miracle” est utilisé en conformité avec l’usage courant en islamologie, et en apologétique islamique de langue française. Bien entendu, il s’agit d’une notion tout à fait étrangère à celle du christianisme telle qu’elle peut apparaitre, par exemple, dans le chapitre “Le problème du miracle” du livre “L’enseignement de Ieschoua de Nazareth” de Claude Tresmontant (Seuil, Paris, 1970).

Dans le chapitre 1, le miracle en islam est d’abord considéré dans les textes fondateurs de l’islam, suivi de sa théorisation théologique. Ensuite le statut et l’autorité des “amis de Dieu” bénéficiant de faveurs particulières (prodiges), et la spécificité des signes par lesquels les prophètes justifiaient leur mission, sont examinés. Les chapitres 2 et 3 traitent des diverses perceptions du miracle coranique jusqu’à la fin de l’époque classique, puis jusqu’à notre époque. Le chapitre 4 est consacré à la question de la “transmission” du défi coranique de l’inimitabilité miraculeuse du livre saint. Le chapitre 5 se penche plus particulièrement sur les cadres mentaux du “miracle scientifique“, et les fondements psychologiques de cette croyance. Les miracles sont de deux types: “mathématique” (il ne s’agit dans ce cas que de numérologie), ou relevant des sciences de la nature, avec subversion des notions de théorie et de vérité, “subversion qui n’est pas sans rappeler les fondements mentaux du Lyssenkisme” (page 160). Le dernier chapitre a pour titre De quelle “Histoire” parlons-nous? Il s’agit de la doctrine officielle de l’islam-religion et de l’Islam-civilisation, considérée objective pour les croyants.

La dernière page de l’épilogue mentionne deux textes. Le premier est une citation du père Jacques Jomier qui, au sujet de la perception de la réalité à travers le texte coranique, note une situation au “coeur de la certitude des musulmans“. Cet islamologue voit ainsi dans “l’appui sur un miracle d’ordre littéraire” un “fait unique dans l’histoire religieuse de l’humanité“, fait dont les conséquences sont immenses. A ce sujet il précise: “puisque que ce livre provient tout entier de Dieu, dans l’optique musulmane, il est la source de toute certitude : il peut donner une grille de lecture des événements et tout fidèle qui voit la réalité à travers lui se sent valorisé personnellement et en sécurité totale dans ses démarches“. Le second texte est un extrait d’un article d’Arthur Pellegrin intitulé “Un aspect psychologique de l’islam. Le complexe de supériorité” ( Revue En terre d’islam, 2-3ème trim. 1940, p. 93). Cet auteur note : “Aucune société occidentale n’offre, aujourd’hui, un tel degré de saturation doctrinale, même si l’on met en comparaison certains systèmes totalitaires

En ce qui concerne cet aspect “psychologique“, bien que ne mentionnant pas cet autre ouvrage de Dominique et Marie-Thérèse Urvoy “L’action psychologique dans le Coran” (Ed. Cerf, collection Patrimoine islam, 2007), la dernière page de l’épilogue, implicitement, établit le lien avec ce livre publié il y a une dizaine d’années. En effet, sur l’origine de la certitude du croyant, cette publication montre qu’elle résulte d’une certaine organisation des versets allant de pair avec une volonté de faire dire à ces versets plus qu’ils ne disent isolément. Des effets d’accélération (harcèlement et auto-exaspération du locuteur), des effets structurels (répétition à l’identique ou avec amplification), des procédés subliminaux (thèmes instillés subrepticement) et des projections d’une preuve d’un thème sur un autre, sont les procédés d’action psychologique qui ont les répercussions mentales expliquant la certitude du croyant.