1. Présentation de l’article “Apostasie”

 




Le Coran ne prononce pas la peine de mort pour les apostats, mais elle est énoncée explicitement dans des hadiths (paroles de Muhammad). C’est le cas de l’un des six livres majeurs sunnites al-Jaami al-Sahih (en arabe: الجامع الصحيح, le recueil authentique, Sahih = authentique) réunis par l’Iman Muhammad ibn Ismail al-Bukhari (810-870), et plus communément appelé Sahih al-Bukhari (en arabe: صحيح البخاري). Il s’agit de:

“J’ai entendu le prophète dire, “à la fin des temps, apparaîtront de jeunes gens aux idées folles. Ils parleront bien, mais ils sortiront de l’islam comme une flèche sort de son jeu, leur foi ne dépassera pas leur gorge. Ainsi, partout où vous les trouvez, tuez les, il y’aura une récompense pour ceux qui les tueront au jour de la résurrection. ” Sahih al-Bukhari Volume 6, livre 61, Numéro 577.

“Celui qui abandonne sa religion islamique, tuez-le.” (Sahih al-Bukhari Volume 4, Livre 52, Numéro 260).

C’est sur cette base que l’article 306 de la Constitution de Mauritanie dit: “Chaque Musulman coupable du crime d’apostasie, soit par mot ou par action, sera invité à se repentir sur une période de trois jours. S’il ne se repent pas dans cette limite du temps, il sera condamné à mort comme un apostat et sa propriété sera confisquée par la Trésorerie.”

L’apostasie est non seulement très sévèrement réprimée, elle est aussi très largement définie dans le droit musulman. Ceci est le thème de l‘article de cette rubrique. Cet article est extrait du Dictionnaire du Coran” (Robert Laffont, Collection Bouquins, septembre 2007), et a pour auteurs Marie-Thérèse URVOY et Eric CHAUMONT. Il est reproduit en trois parties sur le site “Studia-Arabica”:



www.studia-arabica.net/spip.php?article206&var_recherche=Dictionnaire

www.studia-arabica.net/spip.php?article232&var_recherche=Dictionnaire

www.studia-arabica.net/spip.php?article207&var_recherche=Dictionnaire



Les deux premières parties, qui ne sont pas ici dupliquées, sont essentiellement une analyse historique des débuts de l’islam liés au thème de l’apostasie. Elles peuvent être directement consultées sur le site “Studia-Arabica”. Seul le troisième volet, plus actuel, est reproduit ci-dessous avec l’aimable autorisation des auteurs et de “Studia-Arabica”.



Marie-Thérèse Urvoy est professeur d’islamologie, d’histoire médiévale de l’islam et de langue arabe à l’Université catholique de Toulouse.

 

 

Eric Chaumont (spécialité : islamologie, philosophie du droit musulman) est chargé de recherche au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), et à l’IREMAM (Institut de recherches et d’études sur le Monde arabe et musulman). 

 

2.L’article “Apostasie” [(radda) (murtadd)] par Marie-Thérèse Urvoy et Eric Chaumont

 

Dans ce système, la liberté religieuse, plutôt que la liberté de conscience, n’est pas reconnue aux musulmans, et l’apostasie s’y trouve punie de mort (si l’apostat est pubère, doué de ses facultés rationnelles et libre de ses choix). Deux hadiths sont habituellement invoqués pour justifier que l’apostat ou l’apostate – certains légistes hanbalites établissent une distinction entre l’un et l’autre – doit être mis(e) à mort. Le premier est : « Qui change de religion, tuez-le [man baddala dînahu faqtulûhu] » – on a bien entendu compris « le musulman ou la musulman(e) qui change de religion » – et le second rend licite le sang d’un homme musulman abjurant sa religion (rajul kafara ba’da islâmihi). Sur ce principe, il y a un tel consensus (ijmâ’) parmi les ouléma qu’il permet de se passer de référence coranique. L’apostasie étant un crime vis-à-vis de Dieu plus que vis-à-vis de la communauté, le repentir (tawba) de l’apostat a pour effet d’annuler son châtiment. Cependant, à la question : « Est-il obligatoire d’appeler l’apostat à se repentir ? », les réponses sont partagées.

La sévérité du droit musulman à l’endroit de l’apostasie emprunte sans doute plus encore à l’histoire – telle que la rapporte la Tradition – du premier âge de l’islam qu’au Coran et au Hadith (même si l’argument par l’histoire, lorsque celle-ci n’est pas enregistrée dans le Hadith, n’apparaît que très rarement dans les écrits des légistes). Les « guerres d’apostasie [hurûb al-ridda] », la première « crise » (fitna) de l’islam, ont été durement réprimées, et, dans l’imaginaire musulman entretenu par l’historiographie, cette répression était nécessaire pour assurer la simple survie de la communauté naissante. L’« apostasie » de ces tribus était partielle : elle n’affectait pas la reconnaissance formelle de l’islam mais le volet légal qui lui était associé. Depuis, la question de savoir si, à côté de la foi, les actes font ou ne font pas partie intégrante de la définition de la qualité de musulman n’a cessé d’occuper les théologiens.

Dans les textes normatifs musulmans aussi l’islam est indivisible, et il n’y a pas que celui ou celle qui renie l’islam en son intégralité qui est susceptible d’être qualifié(e) d’apostat(e) ; qui nierait tel ou tel aspect de l’islam réputé essentiel à sa définition court aussi le risque d’être accusé d’apostasie. Affirmer, par exemple, que le Coran ne s’adresse qu’aux Arabes du temps de sa révélation et, éventuellement, à la communauté qui s’est constituée autour de lui, qu’il n’a pas vocation universelle en somme, est un acte d’apostasie. Nier le caractère obligatoire des cinq prières quotidiennes – plus que ne pas les effectuer – ou des aumônes sharaïques en est un autre. Il est arrivé que la pratique de sorcellerie (al-sihr) soit considérée comme un reniement de l’islam. L’apostasie est non seulement très sévèrement réprimée, elle est aussi très largement définie.

De nos jours, dans certains pays musulmans, des chrétiens se convertissent sans conviction pour se marier avec des musulmanes ou pour accéder à des fonctions réservées aux musulmans. S’ils ne pratiquent pas, ils risquent d’être accusés d’apostasie. Aussi demandent-ils l’application du seul Coran, qui ne prononce pas la peine de mort. Au début du XXe siècle, Muhammad ‘Abduh, grand mufti d’Egypte, avait déclaré que la mise à mort de l’apostat s’expliquait au début de l’islam, où l’on craignait la désertion et l’abandon, mais que, son triomphe étant acquis, cette peine n’avait plus aucune justification. Certains « réformateurs » actuels reprennent à leur compte ces réflexions et passent, un siècle plus tard, pour très courageux. Dans la première rédaction de la charte des musulmans de France, la « liberté de changer de religion » était affirmée. Certains groupes de pression ont obtenu qu’elle ne figure plus dans la rédaction finale de 2000.

Eric Chaumont et Marie-Thérèse URVOY

Bibl. : ALDEEB ABU-SALEH Sami Awad, Liberté religieuse et paix au Proche-Orient, cahier 61 du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe contemporain, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1988. ID., « La liberté religieuse dans un pays musulman : cas de l’Egypte », dans La Liberté religieuse dans le judaïsme, le christianisme et l’islam, acte du colloque international à l’abbaye de Sénanque, Paris, Le Cerf, 1981 .



IBN HICHÂM, La Vie du prophète Mahomet, édition établie, traduite de l’arabe et annotée par Wahib Attallah, Paris, Fayard, 2003 .



LITTLE David, KELSAY John et SACHEDINA Abdulaziz A., Human Rights and the Conflicts of Cultures : Western and Islamic Perspectives on Religious Liberty, Columbia, University of South Carolina Press, 1988 . WATT William Montgomery, Mahomet à Médine, Paris, Payot, 1978.

in DICTIONNAIRE DU CORAN, ROBERT LAFFONT, BOUQUINS, septembre 2007.