Bamako, 4 avril 2011.

“Mais eux se mirent à vociférer tous ensemble : A mort cet homme ! Et relâche-nous Barabbas. Ce dernier avait été mis en prison pour une émeute survenue dans la ville, et pour meurtre.” (Luc, XXIII, 18-19.)

Monsieur le Ministre,

J’ai appris en lisant le journal qu’un de mes collègues, professeur d’histoire(1) dans un lycée de Manosque, viendrait d’être purement et simplement révoqué pour avoir montré à ses élèves des images – sanglantes nécessairement – d’avortements.

A ce propos, il y a une chose ou deux que je ne veux pas garder sur le cœur et que je me sens obligé de vous avouer. Vous trouverez peut-être cela ridicule, mais je voudrais en me confiant publiquement à vous me mettre à l’abri du reproche qui pourrait m’être fait, au jour du jugement, de ne pas avoir dit tout haut ce que je croyais.

J’imagine que ça ne doit pas être beau à voir, un avortement. Mais là n’est pas l’essentiel. Il s’agit plutôt de savoir si c’est un crime. Ceux – dont je suis – qui le croient ont le sentiment pénible que le monde est à l’envers, lorsqu’ils voient qu’on punit, au lieu des meurtriers et de leurs complices, le citoyen courageux qui a donné l’alerte. Il est vrai que c’est faire d’une pierre deux coups, puisqu’on fait taire le témoin et en même temps on trouve un coupable : non pas celui qui tenait le fer homicide, mais le témoin qui a fait un rapport fidèle de ce qu’il a vu. C’est lui qui a péché.

Pourtant, quand on y pense, l’action qu’on reproche à ce professeur méritait plutôt vos encouragements. Quelle est en effet la fonction des enseignants, si ce n’est pas d’instruire, de faire connaître, autant que possible, la vérité ? Le journal L’Humanité du 4 avril peut bien appeler cela de l’obscurantisme : qu’est-ce que ça change ? Après tout, la France n’est pas l’Union Soviétique.

Puisque j’ai commencé de confesser ma croyance, j’ajoute que je suis catholique et que, loin de vouloir le dissimuler, je m’en fais gloire, comme aurait dit Bossuet. Connaissez-vous Bossuet, Monsieur le Ministre ? C’est un de nos plus grands écrivains. Il était catholique lui aussi. On ne le lit plus guère dans vos écoles. C’est dommage, à mon avis. Je ne sais si vous en conviendrez avec moi. Certes j’ai remarqué que vos parents – qui, soit dit en passant, ne vous ont pas avorté, autrement vous n’auriez pas révoqué mon collègue – que vos parents, disais-je, vous ont donné, avec la vie, le prénom d’un apôtre. Mais j’ai bien conscience que cela ne prouve rien. Un prénom chrétien, cela n’empêche pas d’être franc-maçon, démocrate ou Dieu sait quoi d’autre.

Du reste, j’ai plusieurs fois constaté qu’on pouvait être à la fois chrétien et démocrate. Je n’ai jamais trop compris comment, mais il y a des gens qui m’ont assuré que c’est possible. Pour moi, un chrétien démocrate, c’est quelqu’un qui voudrait bien que Pilate relâche le Christ plutôt que Barabbas, si tout le monde était d’accord ; mais qui n’a pas le courage de s’opposer à la populace et qui se cherche des raisons pour couvrir sa honte.

Car l’un des deux seulement peut être gracié : ou Jésus-Christ ou Barabbas. Pilate ne veut en relâcher qu’un, de sorte qu’on est obligé de choisir ou l’un ou l’autre. De même, il est clair qu’on ne peut pas à la fois promouvoir dans les écoles de France le dévergondage et l’infanticide qui en est la suite naturelle, et permettre qu’on cherche à éclairer les consciences. Il faut nécessairement choisir entre dépraver et éduquer.

Quel choix, Monsieur le Ministre, voulez-vous que nous fassions ?

Roland CHASTAIN.

P.-S. Je suis professeur de philosophie au Lycée français Liberté, B. P. 910, Bamako (Mali).

(1) le professeur en question s’appelle Philippe Isnard

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