La ou les religions des origines?
Un tel titre va-t-il de soi? C’est méconnaître l’histoire des peuples Berbères dont les traditions sont exclusivement orales. Les témoignages écrits sont éparpillés et parcellaires pour l’Antiquité, et de seconde main pour le Moyen-Âge.
Ils proviennent des chroniqueurs et des historiens musulmans, qui leurs accordent peu de crédit au demeurant. Cela supposerait donc des années de recherche, et le travail de toute une vie, pour cerner ou dégager une spiritualité primitive. Quant à celle de la population kabyle c’est complètement irréaliste, tant les témoignages écrits sur elle sont récents : ils remontent tout au plus à la fin du 15ème siècle.
De sorte que, comme pour l’histoire, il s’agit plutôt de poser des repères connus, pouvant être étayés ou discutés ultérieurement. Un proverbe kabyle dit : ” MAZAL LXIR AR ZDAT ” (le bien a toujours de l’avenir).
Les historiens retiennent, dans ce domaine, quatre sources de renseignements principales; elles sont, dans l’ordre : les gravures rupestres (pour l’essentiel sahariennes), l’Egypte, la Grèce et les auteurs romains.
L’art pariétal, en vérité, est affaire d’interprétation.
L’un des spécialistes, dans ce domaine, est H. Lhote. Il est peut-être le premier à avoir déceler les similitudes entre la civilisation égyptienne et celle des Libyens, à prendre dans un sens large (du Nil à l’Atlantique). Après avoir considéré longtemps que cette dernière avait subi l’influence de la première, il s’est demandé, dans son ouvrage ” vers d’autres Tassilis. Nouvelles découvertes au Sahara ” (Arthaud, Paris, 1976), si ce n’est pas du Sahara et de la Libye que sont partis les fondateurs de la civilisation égyptienne. Dans ” les Premiers Berbères ” (Ina-Yas, Alger. Edisud, Aix-en-Provence, 2000) Malika Hachid semble pencher, elle aussi, dans le sens de cette hypothèse. Et les liens primitifs entre les deux cultures sont corroborés par son étude des dessins rupestres du sud algérien.
Il est par ailleurs bien connu que le dieu égyptien Amon est originaire de l’oasis de Siwa, dont la population parle encore de nos jours berbère.
De sorte qu’un égyptologue a cru pouvoir affirmer :
” [Ce dieu] le plus longuement vénéré des dieux égyptiens – qui parfois n’eurent qu’une existence éphémère – portait un nom qui, dès le début de son histoire, le prédestinait à l’absolue royauté : ” le caché “. Car le fait d’être dissimulé dans le mystère de l’invisible, de n’apparaître dans sa forme véritable qu’en songe extraordinaire ou après la mort, était bien le principe même du pouvoir de tous les dieux. Mais d’où lui venait ce nom ? Sans doute du très ancien mot berbère aman, ” eau “. Avant même qu’Amon n’apparaisse sur les bords du Nil au début du Moyen empire, petit dieu d’une petite bourgade insignifiante qui allait devenir la rayonnante Thèbes quelques siècles plus tard, sans doute était-il adoré dans quelque sanctuaire encore plus modeste du désert libyque : on suppose qu’une divinité de ce nom-là (donc dieu de l’eau) se cachait aux yeux des oasiens berbères depuis la préhistoire, dans l’oasis de Siwa où un temple oraculaire de l’Amon égyptien serait très tôt bâti. Il se peut bien qu’Amon soit ainsi né dans une oasis berbère, et qu’il ait acquis là quelques-uns des attributs qui allaient faire sa gloire. Dieu de l’eau dans le désert, il était donc, déjà dieu de la vie, source de tout. Comme de nombreux dieux de l’eau en Afrique, il était déjà associé à la figure d’un bélier : tout au long de son histoire, et jusqu’au Zeus Ammon des Grecs, il sera souvent représenté par un bélier, un homme à tête ou à cornes de bélier. ” – Alain Blottière, ” Petit dictionnaire des dieux égyptiens. Zulma 2000.
Par ailleurs les Guanches (Berbères des îles Canaries) auraient eu, d’après R. Basset, un dieu portant le nom d’Aman, signifiant Seigneur et appliqué au Soleil. Tout comme Amon, dieu bélier à l’origine, est devenu dieu solaire par sa fusion avec Ré.
Aucun chercheur n’ignore combien de coutumes, encore vivantes en pays berbère, se rapportent à l’eau. Le moins instruit dans ces traditions n’a qu’à songer au culte d’Anzar, répandu dans toute l’Afrique du Nord.
” Les rites de pluie que nous venons d’étudier se raccordent logiquement dans un système symbolique identique d’un bout à l’autre de l’Afrique du Nord ; ” dit Jean Servier dans ” Traditions et civilisation berbères ” (éditions du Rocher, 1985).
Voir également les réflexions d’un historien, Marcel Benabou (la résistance africaine à la romanisation, François Maspéro, 1976) : ” Les pratiques magiques berbères destinées à obtenir la pluie, dont certaines ont subsisté jusqu’à l’époque moderne, ont été souvent étudiées, mais dans une perspective plus ethnologique qu’historique. […] Nous nous contenterons donc de signaler les mieux connus de ces faits. Ce sont d’abord les baignades et les aspersions d’eau, rites de magie imitative élémentaire. La promenade de la ” ghonja “, cuiller de bois symbolisant la terre assoiffée, que l’on affuble de chiffons comme une poupée en lui attribuant le nom de ” fiancée d’Anzar ” (c’est-à-dire : ” fiancée de la pluie “), fait appel à une religion plus élaborée, puisque le rite se réfère à une sorte de mariage mystique entre la terre et la pluie, mariage qui donne naissance à la végétation. ”
” L’eau, comme la vie, vient du ciel et c’est au ciel que siègent les divinités majeures des anciens Africains. Les témoignages sont anciens et très respectables. Hérodote dit que le Soleil ainsi que la Lune recevaient des sacrifices de tous les Libyens à l’exception de ceux qui habitaient sur les bords du lac Tritonis ; Pline l’Ancien et Diodore confirment cette assertion. Ibn Kahldoun la répètera en affirmant que parmi les Berbères se trouvaient, au moment de la conquête arabe, des adorateurs du Soleil et de la Lune. Mais le texte majeur nous semble être dû à Cicéron (De Republica). Lorsque Massinissa, pourtant fortement imprégné de culture punique accueille Scipion Emilien, ce n’est ni Baal Ammon, ni Tanit, ni Melqart qu’il invoque : ” Je te rends grâces, Soleil très haut et vous autres divinités du ciel… ” On ne peut, évidemment, garantir la véracité de ce texte, mais si la forme a reçu quelques enjolivures sous la plume de Cicéron, le fond est vraisemblable et l’ensemble ne manque pas de grandeur. ”
Cette réflexion est de Gabriel Camps (Les Berbères, Mémoire et identité, éditions Errance, 1987), qui ajoute toutefois aussitôt : ” Cependant les traces de ce culte astral sont rares, hormis les figurations de Sol et de Luna qui apparaissent dans le cortége de Saturne sur de nombreuses stèles de l’époque romaine. ”
Et il conclut fort justement :
” La pauvreté ou plutôt l’imprécision des témoignages, pour les divinités chtoniennes, aquatiques et célestes, découragent toute tentative de définir les croyances fondamentales des anciens Berbères. ”
Nous sommes assez d’accord avec cet aveu d’impuissance.
Puisque toutes les tentatives n’ont pas abouti jusqu’ici, pourquoi ne pas utiliser l’unique élément qui est à notre disposition, la langue berbère ?
Nous sommes, en effet, convaincus que c’est par cette clef que nous pourrons obtenir des résultats probants. Tous les chercheurs qui ont étudié les populations amazighes, sur le plan historique ou ethnographique, ont négligé cet outil, soit parce qu’ils n’avaient pas la maîtrise de la langue amazighe justement, soit parce qu’ils ne la considéraient pas utile pour leur entreprise. Elle recèle pourtant un inventaire précieux des croyances anciennes.
Certes il ne suffit pas de la comprendre, ou d’en connaître quelques rudiments. Car, alors que certains, armés d’une persévérance admirable (tel Charles de Foucault), ont pu constituer des dictionnaires qui restent incontournables, dans leur esprit le tamazight s’est tellement corrompu, au contact des diverses langues des envahisseurs, venus dans cet éternel réceptacle qu’est l’Afrique du Nord, qu’il en est devenu un conglomérat de vocabulaires sans aucune originalité.
Le tamazight serait si truffé de mots grecs, latins, puniques, arabes, espagnols, turcs, français et même arméniens, que c’en est à désespérer ! En vérité, dés lors qu’un vocable ressemble, de prés ou de loin, à celui d’une autre langue, pour peu qu’elle ait été présente dans le pays, à un moment quelconque de son histoire, il est déclaré ipso facto étranger.
On présuppose, de fait, que toute langue écrite est supérieure à toute langue orale. Ou encore que les influences vont toujours de l’écrit vers l’oral.
Ce préjugé est directement issu de ceux qui écrivent l’histoire : l’écrit reste mais la parole s’envole, dit-on. Or l’oralité, c’est pourtant tout à fait admis, est plus conservatrice ; à l’inverse l’écriture est souvent novatrice. La recherche par la langue est un défi qu’il convient de lancer d’abord aux berbérisants, et, bien plus, aux berbérophones : qu’ils prennent pour outil leur langue méprisée, jusque-là, parce que non écrite. Que les études soient menées sans complexes et sans a priori, et ils verront si nous ne serons pas surpris par les résultats !
Aidé d’un tableau, dans la partie qui suit, nous allons tenter de répondre à cette question :
Est-il enfin un nom de divinité qui surnage, ou dont la persistance séculaire nous serait parvenue ? Est-il possible de restituer un éventuel panthéon berbère ?