– 1 Introduction

Sur le site “Chiesa” chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1338321?fr=y le journaliste italien Sandro Magister, spécialiste de l’information religieuse, publie une étude des actes et projets à visée mondiale d’Obama, et de l’ex-premier ministre Tony Blair de Grande-Bretagne, en opposition directe avec la doctrine catholique. Pour Obama il s’agit du projet de très large libéralisation de l’avortement aux USA, et à l’extérieur de ce pays. En particulier le projet de lever la clause de conscience pour les professionnels de santé, qui frapperait les personnels et institutions de soins catholiques, et la reprise des subventions publiques pour les organismes exécutants de la “culture de mort” sont d’une extrême gravité.

Alors qu’Obama vise une reconstruction de la société mondiale, la “Tony Blair Faith Foundation”, parmi ses attributions, se propose de reconstruire les grandes religions. Dans ce but, cette fondation devra répandre de “nouveaux droits”, en utilisant à cette fin les religions du monde et en adaptant celles-ci à leurs nouvelles tâches. Ceci impliquerait l’instauration d’un droit international qui devrait s’imposer aux religions du monde de telle façon que la “foi” nouvelle soit le principe unificateur de la société mondiale

Deux éminents spécialistes, membres de l’Académie Pontificale des Sciences Sociales, s’expriment sur ce sujet, avec le texte intégral de l’acte d’accusation, signé de Michel Schooyans en accord avec l’archevêque de Dijon, Roland Minnerath. L’article comporte deux pages.

-2 L’article de “Chiesa”: Ange ou démon? Au Vatican, Obama est l’un et l’autre.

ROME, le 8 mai 2009 – “L’Osservatore Romano” a surpris un peu tout le monde, fin avril, par sa manière de juger Barack Obama au bout des cent premiers jours de celui-ci à la présidence des Etats-Unis. Un jugement portant non seulement sur la politique internationale, mais aussi sur les questions éthiques “qui inspirent de vives préoccupations à l’épiscopat catholique”.

Ce qui a surpris, c’est le contraste entre le calme olympien du journal du Vatican – selon lequel les cent premiers jours d’Obama non seulement “n’ont pas bouleversé le monde” mais ont même donné des signaux encourageants “en faveur de la maternité” – et les vives critiques adressées à Obama par un nombre croissant de fidèles et d’évêques américains, avec à leur tête le cardinal Francis E. George, archevêque de Chicago et président de la conférence des évêques des Etats-Unis.

Ces critiques concernent les mesures prises et annoncées par le nouveau président en matière de vie naissante, mais aussi la décision de l’université catholique de Notre Dame de lui conférer, le 17 mai, un doctorat “honoris causa”, distinction que beaucoup de gens estiment injustifiable en raison de ses positions pro-avortement.

Dans cette dernière polémique, Mary Ann Glendon, une universitaire catholique très connue, professeur de droit à l’université de Harvard – où elle a eu Obama comme étudiant – et ambassadeur des Etats-Unis près le Saint-Siège à la fin de la présidence Bush, a joué un rôle important. Fervente “pro life”, Glendon a refusé de recevoir un prix de l’université de Notre Dame le jour même où Obama recevrait son doctorat. Elle a motivé son refus par une lettre au père John I. Jenkins, recteur de Notre Dame, où elle se dit “effarée” qu’une institution catholique ait décidé d’honorer quelqu’un dont l’action “défie nos principes moraux fondamentaux”.

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Mais au Vatican, juste après l’article pro-Obama de “L’Osservatore Romano”, un fait diamétralement opposé s’est produit: le nouveau président américain a été l’objet d’une critique radicale.

Du 1er au 5 mai, l’académie pontificale des sciences sociales s’est réunie en session plénière au Casino de Pie IV, dans les jardins du Vatican, sur le thème: “La doctrine sociale catholique et les droits de l’homme”.

L’académie regroupe trois douzaines de spécialistes venant de différents pays et aux orientations diverses. Le prix Nobel Joseph Stiglitz, économiste à la Columbia University, qui en fait partie, a fait un exposé. A l’issue de leurs travaux, les membres de l’académie ont été reçus par Benoît XVI, qui leur a adressé un discours.

Mais qui est le président de l’académie? Mary Ann Glendon. Elle l’était déjà avant d’être ambassadeur des Etats-Unis près le Saint-Siège et elle l’est redevenue au terme de ce mandat diplomatique.

Le matin du 1er mai, c’est donc Glendon qui a ouvert les travaux. Elle a aussi prononcé l’un des exposés introductifs.

Mais les premiers à parler ont été deux autres intervenants: l’archevêque français Roland Minnerath et le prêtre belge Michel Schooyans.

Ils s’étaient mis d’accord sur leurs discours. Minnerath a traité la question des “droits subjectifs” de la personne, en faisant ressortir le contraste entre les traditions de l’Eglise et celles des Lumières laïcistes. Pour sa part, Schooyans a voulu “montrer la fécondité des thèses exposées par Mgr Minnerath lorsqu’elles sont sollicitées pour analyser des problèmes contemporains”. Concrètement, il les a appliquées à la présidence d’Obama et au leader européen qui lui ressemble le plus, Tony Blair.

Schooyans a consacré toute la seconde moitié de son exposé à analyser et démolir le “messianisme” d’Obama et Blair qu’il juge dévastateur non seulement dans le domaine des droits de l’homme, mais aussi dans celui de la religion.

Il suffit de lire son texte pour en percevoir la radicalité critique. Cette seconde partie de son intervention est intégralement reproduite ci-dessous.

Mais il est utile de rappeler d’abord quelques points à propos de la personnalité des deux intervenants.

Roland Minnerath, 62 ans, est archevêque de Dijon depuis 2004. Précédemment, il a enseigné à la faculté de théologie de Strasbourg l’histoire de l’Eglise et les relations entre l’Eglise et l’Etat. Encore avant, il a fait partie du corps diplomatique du Vatican et passé quelque temps à la nonciature en Allemagne. Il travaille encore comme consultant à la section Affaires Etrangères de la secrétairerie d’état. Joseph Ratzinger, qui le connaît bien, lui a demandé de faire partie de la commission théologique internationale et l’a nommé secrétaire spécial du synode des évêques de 2005. A l’académie pontificale des sciences sociales il fait partie du conseil de coordination et a été chargé de préparer la dernière session plénière.

Michel Schooyans est un prêtre belge, professeur émérite de l’Université Catholique de Louvain. Grand spécialiste de l’anthropologie, de la philosophie politique, de la bioéthique et de la démographie, il est membre de trois académies pontificales: des sciences sociales, pour la vie, et Saint Thomas d’Aquin. Il a publié en 2006 un livre intitulé “Le terrorisme à visage humain” qui a de nombreux points communs avec son intervention du 1er mai au Vatican. Son dernier ouvrage paru en Italie, “La prophétie de Paul VI” (éditions Cantagalli, 2008), est une vigoureuse défense de l’encyclique “Humanæ Vitae”.

Voici donc la seconde partie de son intervention à la session plénière de l’académie pontificale des sciences sociales, lue au Vatican, en français, le matin du vendredi 1er mai 2009:

Obama et Blair. Le messianisme réinterprété

par Michel Schooyans


L’élection de M. Barack Obama à la présidence des États-Unis a suscité de nombreuses expectatives dans le monde entier. Aux États-Unis, les électeurs ont voté pour un président jeune, métis et brillant. On attend de lui que, selon ses promesses, il corrige les erreurs du président précédent. Des formules excessives ont même été utilisées, affirmant, par exemple, que l’heure était venue de “reconstruire” les États-Unis ou de réorganiser l’ordre international. On notera ici l’influence de Saul D. Alinsky (1909-1972), un des maîtres à penser du nouveau président et d’Hillary Clinton. N’ont pas manqué de zélés admirateurs du fringant élu, qui ont diabolisé le malheureux président George W. Bush, recommandant que soit détruite, le plus vite possible, la politique qu’il avait articulée. Or, l’administration Bush, si elle ne manque pas de mérites, se caractérise par des échecs reconnus, même dans le cercle le plus proche de ce président. Cependant, sur un point essentiel et fondamental, le Président Bush a promu une politique digne de respect et de continuité: il a offert à l’être humain non né, ainsi qu’au personnel médical, une protection juridique, insuffisante sans doute, mais efficace.

Les électeurs qui ont conduit Barack Obama à la présidence n’ont pas perçu la faiblesse et l’ambiguïté des déclarations faites par leur candidat à propos de ce point décisif. Plus encore, une fois élu, une des premières mesures du Président Obama a été de révoquer les dispositions prises par le Président Bush pour protéger le droit à la vie de l’être humain non né.

Le Président Obama réintroduit ainsi le droit à discriminer, à “mettre à part” certains êtres humains. Avec lui, le droit de tout individu humain à la vie et à la liberté n’est plus reconnu ni moins encore protégé. Le Président Obama conteste, par conséquent, l’argumentation qui a été invoquée par ses propres frères de race au moment où ils revendiquaient, à juste titre, que fût reconnu le droit de tous à la même dignité, à l’égalité et à la liberté. Dans sa variante prénatale, le racisme vient d’être restauré aux États-Unis.

Le nouveau président entraîne ainsi le droit dans un processus de régression qui altère la qualité démocratique de la société qui l’a élu. De fait, une société qui se dit démocratique, dans laquelle les gouvernants, invoquant de “nouveaux droits” subjectifs, permettent l’élimination de certaines catégories d’êtres humains, est une société qui est déjà engagée de plain-pied sur la route du totalitarisme. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 46 millions d’avortements sont réalisés chaque année dans le monde. En révoquant des dispositions juridiques protégeant la vie, M. Obama va allonger la liste funèbre des victimes de lois criminelles. Le chemin est ouvert pour que l’avortement devienne légalement exigible. Le droit lui-même pourra être précipité dans l’indignité lorsqu’il sera instrumentalisé et pressé de légaliser n’importe quoi, et mis, par exemple, au service d’un programme d’élimination d’innocents. A partir de là, la réalité de l’être humain n’a plus d’importance en soi.

La conséquence évidente du changement décidé par M. Obama est que le nombre d’avortements va augmenter dans le monde. Le Président Bush avait coupé les subventions destinées à des programmes comportant l’avortement, en particulier à l’extérieur des États-Unis. La révocation de cette mesure par la nouvelle administration limite le droit du personnel médical à l’objection de conscience et permet à M. Obama d’augmenter les subsides affectés à des organisations publiques et privées, nationales et internationales, qui développent des programmes de contrôle de la natalité, de “maternité sans risque”, de “santé reproductive” incluant l’avortement parmi les méthodes contraceptives qu’ils promeuvent.

Le Président Obama apparaîtra donc inévitablement comme un des principaux responsables du vieillissement de la population des États-Unis et des nations “bénéficiaires” de programmes de contrôle de la natalité présentés comme condition préalable au développement. Comment un leader politique bien informé peut-il ignorer qu’une société qui avorte ses enfants est une société qui avorte son avenir?

La mesure prise par Barack Obama est destinée à avoir des répercussions au plan mondial. Le “messianisme” nord-américain traditionnel se flattait d’offrir au monde le meilleur modèle de démocratie. Avec la permission de tuer légalement des innocents, cette prétention est en train de sombrer. En son lieu et place émerge un “messianisme” qui annonce l’extinction des principes moraux apparaissant dans la Déclaration d’Indépendance (1776) et dans la Constitution des États-Unis (1787). Dorénavant est rejetée la référence au Créateur. Aucune réalité humaine ne s’impose plus en vertu de sa dignité intrinsèque. Prévaut désormais la volonté présidentielle. Selon ses propres paroles, le président ne devra plus se référer à des traditions morales et religieuses de l’humanité. Sa volonté est source de loi. A propos, qu’en pense le Congrès américain?

Or dès lors que le poids des États-Unis est celui qui pèse le plus dans les relations internationales, bilatérales et multilatérales, et spécialement dans le cadre de l’ONU, on peut prévoir que tôt ou tard, l’avortement sera présenté à l’ONU comme un “nouveau droit humain”, un droit permettant d’exiger l’avortement. Il s’ensuivra qu’il n’y aura plus de place, en droit, pour l’objection de conscience. Ce même processus permettra au président de manifester sa volonté d’inclure dans la liste d’autres “nouveaux droits” subjectifs, comme l’euthanasie, l’homosexualité, la répudiation, la drogue, etc.

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