Benoît XVI aux séminaristes de son diocèse : qu’est-ce que la liberté ?

Texte intégral de son discours au grand séminaire pontifical romain (20 février), publié le 25/02/09 par Zenit.org

Monsieur le cardinal, chers amis,

C’est toujours une grande joie pour moi d’être dans mon séminaire, de voir les futurs prêtres de mon diocèse, d’être avec vous sous le signe de la Vierge de la Confiance. En nous aidant et en nous accompagnant, Elle nous donne réellement la certitude d’être toujours aidés par la grâce divine, et ainsi nous allons de l’avant !

Voyons à présent ce que nous dit saint Paul avec ce texte : “Vous avez été appelés à la liberté”. De tout temps, la liberté a été le grand rêve de l’humanité, dès le début, mais particulièrement à l’époque moderne. Nous savons que Luther s’est inspiré du texte de laLettre aux Galateset il en a conclu que la Règle monastique, la hiérarchie et le magistère lui apparaissaient comme un lien d’esclavage dont il fallait se libérer. Par la suite, la période du Siècle des Lumières a été totalement guidée, pénétrée par ce désir de liberté, que l’on considérait avoir finalement atteint. Mais le marxisme s’est lui aussi présenté comme la voie vers la liberté.

Nous nous demandons ce soir : qu’est-ce que la liberté ? Comment pouvons-nous être libres ? Saint Paul nous aide à comprendre cette réalité compliquée qu’est la liberté en inscrivant ce concept dans un contexte de visions anthropologiques et théologiques fondamentales. Il dit : “Que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair ; mais par la charité, mettez-vous au service les uns des autres”. Le Recteur nous a dit que la “chair” n’est pas le corps, mais la “chair” – dans le langage de saint Paul – est l’expression du moi rendu absolu, qui veut être tout et prendre tout pour soi. Le moi absolu, qui ne dépend de rien ni de personne, semble posséder réellement, en définitive, la liberté. Je suis libre si je ne dépends de personne, si je peux faire tout ce que je veux. Mais ce moi rendu absolu est précisément “chair”, c’est-à-dire dégradation de l’homme ; il n’est pas une conquête de la liberté : le libertinisme, ce n’est pas la liberté, mais plutôt l’échec de la liberté.

Mais Paul ose proposer un paradoxe fort : “Par la charité, mettez-vous au service” (en grec: douléuete) ; c’est-à-dire que la liberté se réalise paradoxalement à travers le service ; nous devenons libres, si nous devenons serviteurs les uns des autres. Et ainsi, Paul place tout le problème de la liberté à la lumière de la vérité de l’homme. Se réduire à la chair, en s’élevant en apparence au rang de divinité – “Moi seul suis l’homme” – introduit au mensonge. Car en réalité, il n’en est pas ainsi : l’homme n’est pas un absolu, comme si le moi pouvait s’isoler et se comporter selon sa propre volonté. Cela est contre la vérité de notre être. Notre vérité est que nous sommes avant tout des créatures, des créatures de Dieu et que nous vivons dans la relation avec le Créateur. Nous sommes des êtres relationnels. Ce n’est qu’en acceptant notre nature relationnelle que nous entrons dans la vérité, sinon nous tombons dans le mensonge et en lui, à la fin, nous nous détruisons.

Nous sommes des créatures et donc dépendantes du Créateur. Au cours de la période du siècle des Lumières, en particulier pour les athées, cela apparaissait comme une dépendance dont il fallait se libérer. Toutefois, en réalité, la dépendance fatale ne serait telle que si ce Dieu Créateur était un tyran, et non pas un Etre bon, uniquement s’il était comme le sont les tyrans humains. Si, au contraire, ce Créateur nous aime et que notre dépendance signifie être dans l’espace de son amour, dans ce cas, la dépendance signifie précisément liberté. De cette façon, en effet, nous sommes dans la charité du Créateur, nous sommes unis à Lui, à toute sa réalité, à tout son pouvoir. Cela est donc le premier point : être créature signifie être aimés du Créateur, être dans cette relation d’amour qu’Il nous donne, avec laquelle il nous entoure. C’est de là que dérive avant tout notre vérité, qui est, dans le même temps, appelée à la charité.

C’est pourquoi voir Dieu, s’orienter vers Dieu, connaître Dieu, connaître la volonté de Dieu, s’inscrire dans la volonté, c’est-à-dire dans l’amour de Dieu, signifie entrer toujours plus dans l’espace de la vérité. Et ce chemin de la connaissance de Dieu, de la relation d’amour avec Dieu est l’aventure extraordinaire de notre vie chrétienne : dans le Christ, nous connaissons le visage de Dieu, le visage de Dieu qui nous aime jusqu’à la Croix, jusqu’au don de lui-même.

Mais la nature relationnelle des créatures implique également un deuxième type de relation : nous sommes en relation avec Dieu mais ensemble, comme famille humaine, nous sommes également en relation les uns avec les autres. En d’autres termes, la liberté humaine signifie, d’une part, être dans la joie et dans le vaste espace de l’amour de Dieu, mais elle implique également être un avec l’autre et pour l’autre. Il n’existe pas de liberté contre l’autre. Si je me rends absolu, je deviens ennemi de l’autre, nous ne pouvons plus coexister et toute la vie devient cruelle, devient un échec. Seule une liberté partagée est une liberté humaine ; dans le fait d’être ensemble, nous pouvons entrer dans la symphonie de la liberté.

Et cela est un autre point d’une grande importance : ce n’est qu’en acceptant l’autre, en acceptant également la limitation apparente de ma liberté qui découle du respect pour celle de l’autre, ce n’est qu’en m’inscrivant dans ce réseau de dépendance qui fait de nous, en fin de compte, une unique famille, que je me mets en chemin vers la libération commune.

Ici apparaît un élément très important : quelle est la mesure du partage de la liberté ? Nous voyons que l’homme a besoin d’ordre, de droit, afin que puisse ainsi se réaliser sa liberté, qui est une liberté vécue en commun. Et comment pouvons-nous trouver cet ordre juste, dans lequel personne n’est opprimé, mais chacun peut apporter sa contribution pour former cette sorte de concert des libertés ? S’il n’existe pas de vérité commune sur l’homme telle qu’elle apparaît dans la vision de Dieu, il ne reste que le positivisme et on a l’impression de quelque chose d’imposé même de manière violente. D’où cette rébellion contre l’ordre et le droit comme s’il s’agissait d’un esclavage.

Mais si nous pouvons trouver l’ordre du Créateur dans notre nature, l’ordre de la vérité qui donne à chacun sa place, l’ordre et le droit peuvent être précisément des instruments de liberté contre l’esclavage de l’égoïsme. Se servir les uns les autres devient un instrument de la liberté et sur ce point, nous pourrions parler de toute une philosophie de la politique selon la Doctrine sociale de l’Eglise, qui nous aide à trouver cet ordre commun qui donne à chacun sa place dans la vie commune de l’humanité. La première réalité à respecter est donc la vérité : la liberté contre la vérité n’est pas la liberté. Se servir l’un l’autre crée l’espace commun de la liberté.

Puis Paul poursuit en disant : “Une seule formule contient toute la Loi en sa plénitude : «tu aimeras ton prochain comme toi-même»”. Derrière cette affirmation apparaît le mystère du Dieu incarné, le mystère du Christ qui dans sa vie, dans sa mort, dans sa résurrection, devient la loi vivante. Les premières paroles de notre lecture “vous avez été appelés à la liberté” – évoquent immédiatement ce mystère. Nous avons été appelés par l’Evangile, nous avons été appelés réellement dans le Baptême, dans la participation à la mort et à la résurrection du Christ, et de cette façon, nous sommes passés de la “chair”, de l’égoïsme, à la communion avec le Christ. Et ainsi, nous sommes dans la plénitude de la loi.

Vous connaissez probablement tous les belles paroles de saint Augustin : «Dilige et fac quod vis”- aime et fais ce que tu veux”. Ce que dit saint Augustin est la vérité, si nous avons bien compris le sens du terme “amour”. “Aime et fais ce que tu veux”, mais nous devons réellement être introduits dans la communion avec le Christ, nous être identifiés avec sa mort et sa résurrection, être unis à Lui dans la communion de son Corps. Dans la participation aux sacrements, dans l’écoute de la Parole de Dieu, la volonté divine, la Loi divine entre réellement dans notre volonté, notre volonté s’identifie avec la sienne, elles ne deviennent qu’une seule volonté et ainsi nous sommes réellement libres, nous pouvons réellement faire ce que nous voulons, car nous voulons avec le Christ, nous voulons dans la vérité et avec la vérité.

Prions donc le Seigneur pour qu’il nous aide sur ce chemin commencé avec le Baptême, un chemin d’identification avec le Christ, qui se réalise toujours à nouveau dans l’Eucharistie. Dans la troisième prière eucharistique, nous disons : “Dans le Christ, nous devenons un seul corps et un seul esprit”. C’est un moment dans lequel, à travers l’Eucharistie et à travers notre véritable participation au mystère de la mort et de la résurrection du Christ, nous devenons un seul esprit avec Lui, nous sommes dans cette identité de la volonté et ainsi, nous arrivons réellement à la liberté.

Derrière ce terme – la loi s’est accomplie – derrière cette unique parole qui devient réalité dans la communion avec le Christ, apparaissent derrière le Seigneur toutes les figures des saints qui sont entrés en communion avec le Christ, dans cette unité avec sa volonté. Et surtout apparaît la Vierge, dans son humilité, dans sa bonté, dans son amour. La Vierge nous donne cette confiance, nous prend par la main, nous guide, nous aide sur le chemin de l’union à la volonté de Dieu, comme Elle l’a été dès le premier moment et a exprimé cette union dans son “Fiat”.

Et enfin, après ces belles choses, encore une fois dans la Lettre, il y a une évocation de la situation un peu triste de la communauté des Galates, lorsque Paul dit : “Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous allez vous entre-détruire… Laissez-vous mener par l’Esprit”. Il me semble que dans cette communauté – qui n’était plus sur la voie de la communion avec le Christ, mais de la loi extérieure de la “chair” – ressortent naturellement également des polémiques et Paul dit : “Vous devenez comme des bêtes sauvages, l’un mord l’autre”. Il évoque ainsi les polémiques qui naissent là où la foi dégénère en un intellectualisme et l’humilité est remplacée par l’arrogance d’être meilleur que l’autre.

Nous voyons bien qu’aujourd’hui encore, il y a des cas semblables où, au lieu de s’insérer dans la communion avec le Christ, dans le Corps du Christ qui est l’Eglise, chacun veut être supérieur à l’autre et avec une arrogance intellectuelle, veut faire croire qu’il est meilleur. C’est ainsi que naissent les polémiques qui sont destructrices, que naît une caricature de l’Eglise qui devrait être une seule âme et un seul cœur.

Dans cet avertissement de saint Paul, nous devons trouver aujourd’hui également un motif d’examen de conscience : ne pas penser être supérieur à l’autre, mais nous trouver dans l’humilité du Christ, nous trouver dans l’humilité de la Vierge, entrer dans l’obéissance de la foi. C’est précisément ainsi que s’ouvre réellement aussi à nous le grand espace de la vérité et de la liberté dans l’amour.

Enfin, nous voulons rendre grâce à Dieu car il nous a montré son visage dans le Christ, parce qu’il nous a donné la Vierge, il nous a donné les saints, il nous a appelés à être un seul corps, un seul esprit avec Lui. Et nous prions pour qu’il nous aide à être toujours plus introduits dans cette communion avec sa volonté, pour trouver ainsi, avec la liberté, l’amour et la joie.