Du nombre et de l’un dans l’indivisible Trinité,
unique et seul vrai Dieu.
Souvent nombre d’objections naissent à l’encontre du dogme central et premier de la foi catholique, la très sainte et très auguste Trinité. Le présent travail va tâcher de circonscrire un problème difficile et de résoudre les objections faites par toutes sortes d’hommes qui, très souvent, méconnaissent le fond même de la question. Quand on entend ou quand on lit certains défenseurs de l’unicité divine qui nous accusent d’être des polythéistes, des associateurs ou de tout autre délicat qualificatif, on ne peut qu’être tenté de les inciter à réfléchir pour parler d’un problème si complexe au regard de notre finitude et de nos faibles lumières. Dieu est simple, certes, mais nos pauvres intelligences ne le sont pas ; et il faut prendre garde à ne pas confondre l’unité incréé avec l’unité de nos calculs humains. Si vous ne comprenez cette dernière phrase, prenez patience, nous en reparlerons bientôt. Car pour nous il s’agit bien de montrer que l’affirmation d’une pluralité de personnes en Dieu ne contredit pas le simple bon sens qui nous dit qu’un n’est pas égal à trois.
Pour ce faire nous allons d’abord détailler quelque peu les considérations que l’on peut faire sur les attributs divins concernés (partie A). Nous allons considérer trois attributs divins, mais qu’on se rassure ils ne s’identifient pas aux trois personnes. Il s’agit d’étudier certains attributs qui concernent l’être de Dieu et qui peuvent sembler contredits par l’affirmation d’une Trinité de personnes divines, que nous confessons être le Père, Le Fils ou Verbe, et le Saint-Esprit ou Paraclet. Ces trois attributs seront :
L’unité (le fait que Dieu soit un)
L’unicité (le fait que Dieu soit unique)
La simplicité (le fait qu’en Dieu il n’y ait pas de composition)
A partir des quelques considérations que nous aurons développées sur ces réalités divines, nous montrerons que l’affirmation d’une Trinité de personnes ne nie pas toutes ces affirmations qui elles aussi font partie de la foi catholique (partie B). Notez bien que ce que nous allons écrire constitue une sorte de résumé rapide de développements théologiques beaucoup plus systématiques, tels qu’on peut les trouver chez les pères de l’Eglise, en particulier saint Augustin, ou chez les docteurs scolastiques, Saint Thomas étant le premier d’entre tous. Ce sont des lignes qui pourront être difficiles à lire, que le lecteur bien intentionné en excuse le rédacteur qui a fait effort pour rendre clair et concis des raisonnements subtils et précis sur une question qui dépasse notre pauvre capacité humaine. On pourra dire que c’est compliquer les choses mais, quant à nous, nous répéterons avec saint François de Sales, le saint et docte évêque de Genève de la fin du XVIème siècle : Mon Dieu que vous seriez petit si je vous comprenais !
A) Les trois attributs qui distinguent Dieu de toute forme de commixtion avec sa création.
· L’unité de Dieu.
Position du problème : que veut dire « être un » ? Un mathématique et un transcendantal.
Que disons nous quand une chose est une ? La réponse n’est pas si simple. Quand j’affirme : « je tiens une pomme dans la main ! » il y a malgré l’apparence deux possibilités de compréhension de cette affirmation très banale. D’abord nous pouvons parler de la pomme et de son unité comme le principe de deux moitiés de pomme, ou encore comme le vingtième d’un cageot de golden, etc. Cette façon de compter la pomme part d’une abstraction mathématique. De fait la pomme est divisible, ou intégrable dans un ensemble plus grand. Cela tient à sa dimension matérielle. Cette façon de compter la pomme convient à toute forme d’être comprenant dans sa composition essentielle un élément matériel, de la simple pierre à l’être humain. Il y a dans ce que l’on appelle les êtres cosmiques[1] une dimension matérielle qui est le principe de toute forme de mathématique. Le nombre est divisible et additionnable à l’infini. Le fait que j’additionne des pommes n’intègre pas le fait qu’une des pommes est une golden que l’autre est une pomme de jardin, que la dernière enfin est une pomme du japon. Les trois vont être réduites à leur expression mathématique, abstraction de leurs couleurs, de leurs poids etc.
L’autre façon de parler de cette pomme que je tiens dans la main selon son unité, c’est précisément d’en parler dans ce qui la caractérise comme individu et qui la distingue de moi d’une part [2], et des autres pommes de l’autre. La pomme n’est plus numérable selon le même type d’unité qui nous permettait de compter trois pommes différentes sous une même raison abstractive. Elle est « une », non plus parce qu’elle est équiparable aux deux autres selon une certaine dimension d’elle-même, à savoir sa quantité matérielle, mais on peut la nommer « une » précisément par ce qui la distingue des deux autres et qui fait d’elle un être cohérent, uni, qui dans l’harmonie de toutes ses parties donne l’apparence d’un être homogène et l’est en réalité. La pomme est une, c’est celle que je tiens dans la main, qui est jaune-verte, qui à tel goût sucré, que je viens de cueillir et qui présentement se trouve dans ma main et pas ailleurs. Cette pomme est là, elle n’est rien d’autre et c’est par tous ces aspects qu’elle est une. Cette unité est l’affirmation de sa cohérence et de sa spécificité ontologique. Nous l’appelons unité transcendantale. Elle peut être elle aussi un principe de numération, mais d’une manière bien différente de la première. Il est absurde en ce sens de parler d’une demi-pomme, parce qu’à supposer qu’on coupe cette fameuse pomme elle donne « naissance » à deux choses unes en elles-mêmes (cela est possible du fait de sa matérialité) distinctes de la première qui était la pomme que je tenais dans la main. Et pour compter plusieurs choses unes, il faut d’abord considérer ce qui les spécifie et les constitue comme unité. Cette unité transcendantale est contraire à la division, mais non à la multitude qui est elle-même une unité.
Application de ces réflexions à Dieu.
Quand on dit donc que Dieu est un on compte nécessairement d’après cette deuxième forme de numération. Dieu est un parce que ce qu’il est le distingue des autres choses et suffit à en faire [3] un être indépendant dans son être des autres choses. Notons donc que ce qui importe en premier lieu dans la question de l’unité transcendantale d’une chose, c’est ce qui la constitue en propre. L’unité étant l’affirmation conséquente à la saisie d’une cohérence interne et profonde. Donc l’unité est le principe de la distinction d’un être des autres choses qui sont elles-mêmes unes, c’est ce qui fait qu’un être existe selon une certaine essence qui définit sa spécificité. Si nous parlons de Dieu en tant qu’il est créateur, nous avons d’une manière assez claire le principe de son unité : Il est celui qui a créé, ce qui le distingue de ceux qu’Il a créés. Il est quand les autres ne sont que par lui. Nous existons, nous évoluons, quand Dieu est. Eternel présent de Dieu qui le distingue infiniment de toute autre chose, de nous par la même occasion.
· L’unicité de Dieu.
C’est une affirmation qui n’est pas très éloignée de celle de son unité, mais elle en est distincte par ce qu’elle montre que rien ni personne ne peut être associé à Celui qui a créé le ciel et la terre, et tout ce qu’ils renferment. Dieu est unique, c’est à dire qu’il y a un seul principe à la création des choses. Il peut y avoir plusieurs êtres spirituels, éternels [4], mais il ne peut pas y avoir deux créateurs distincts dans leur unité substantielle et égaux. Notez bien cela, car l’affirmation de l’existence de la Trinité n’est pas dire qu’il y a pluralité de créateurs. Il y a un seul être créateur, et ceci est le principe de la distinction particulière entre Lui et les autres. Il est et les autres sont par Lui. De ce fait démontrable quoique difficile à bien étayer rationnellement, on peut dire de Dieu qu’Il a toutes les perfections. C’est une conséquence logique de l’unité de Dieu qui se définit comme l’être incréé et qui le distingue suprêmement de sa création.
Refaisons rapidement la preuve logique de cette affirmation [5]. D’une perfection qu’on peut constater dans la nature, on sait qu’elle n’est pas par elle-même, et s’il elle est par un autre, cet autre possède nécessairement en lui-même cette perfection (il peut y avoir des intermédiaires entre la cause et l’effet). Or si nous affirmons qu’il y a deux créateurs, nous dirons dans le même temps qu’une perfection possédé par l’un des deux ne sera pas possédée par le second (elle devient la cause de distinction entre les deux et permet d’affirmer l’unité de l’un par rapport à l’autre). Et cela répugne à la raison que d’affirmer à partir de l’ordre des créatures deux créateurs. Car l’une des perfections possédés par l’un des créateurs ne le serait pas par un autre et donc celui-ci dépendrait de l’autre, il ne serait donc pas son égal, ou en tous cas il ne serait pas parfait car ne possédant pas ce que l’autre possède. Les faire dépendre l’un de l’autre serait nier la réalité que nous constatons dans les choses, parce que nous nierions toute forme d’explication de la présence de la perfection dans les choses. C’est un peu rapide mais nous sommes contraints de par le but de notre projet de nous restreindre dans le domaine de ces explications puisqu’elles ne font pas le fond du problème du débat qui peut agiter les multiples doctrines du monothéisme. Mais cela nous aura permis de rendre compte de notre foi dans l’existence d’un créateur un et unique. Reste à aborder en fait ce qui fait le véritable nœud de l’affaire, la simplicité divine.
· La simplicité suprême de Dieu.
Mettre de la composition en Dieu, c’est nier ce que nous avons dit de l’excellence de son être. Dieu n’est pas mélangé de quoique ce soit, pas un soupçon de mutabilité n’entre dans la réalité de son être. Il est l’éternel, l’immuable et le parfait. Nous pouvons affirmer cela pour la même raison que nous affirmions son unicité, cela ferait que Dieu dépendrait d’une autre cause extérieure à Lui de ce qui aurait permis la fusion des éléments d’une part, et l’existence des composés dont sa substance serait formée de l’autre. Cela détruirait toute compréhension de l’ordre créé [6], il n’y aurait plus cet être parfait qui seul explique tout cet ordre merveilleux de la nature que nos yeux voient, beauté au sujet de laquelle nous rendons, hélas, trop peu souvent grâce. En outre Dieu est tout ce qu’il est, s’il était composé de parties, il serait en cette partie quelque chose qui ne serait pas le tout de ce qu’il est. Impossible à Dieu, car imparfait, et donc inconvenant pour Dieu.
Par toutes ces raisons, on peut dire de Dieu qu’Il est l’être le plus un qu’il soit. Absolument simple, étant l’être suprême seul à exister par lui-même, sa distinction des choses et sa non composition le font appeler à très juste titre l’être le plus un (maxime unum). Toutes les perfections, dans l’ordre de l’être (perfection, bonté, vérité) ou de l’agir (connaissance, volonté, amour) sont en Dieu une seule et même chose, identique à Lui-même. Dieu est sa pensée et cela de toute éternité. (il y a sans doute une nuance ici à préciser avec la terminologie musulmane qui identifie les attributs d’être et d’agir ad intra – Au sein de Dieu – sous le terme d’attributs d’essence, et les attributs d’actions qui sont les œuvres de Dieu ad extra – en dehors de Lui – mais c’est assez secondaire croyons-nous).
Comment concilier ce que nous venons d’écrire avec notre foi en l’existence d’un Dieu qui est Trinité de personnes ? Tel est l’enjeu de notre écrit. Nous avons posé les jalons.


[1] Expression tirée de la philosophie d’Aristote pour désigner tous les êtres matériels qui existent avec un principe spirituel (morphé) et un matériel (hylé).

[2] Sans que nécessairement cette apparition me donne la nausée mais plutôt suscite en moi l’appétit de l’avaler.

[3] Qu’on me pardonne cette écart de langage à l’égard de celui qui ne reçoit rien, qui n’est pas changé ni susceptible d’être transformé. J’utilise cette formulation pour me faire comprendre et rendre accessible ces abstractions métaphysiques.

[4] Dieu les ayant créés de toute éternité (c’est une simple possibilité et non un fait)

[5] Nous n’avons pas le temps de prouver nos dires mais nous nous contentons d’en résumer la logique.

[6] C’est un argument un peu faible reconnaissons-le face à des athées mais ils ne sont pas le public auquel nous nous adressons. Cette raison du monde que nous sous-entendons est un fait, pas un besoin subjectif d’explication d’un monde sans ordre ni destin.