LES EGLISES OU L’EGLISE ?

(Réponse au questionnement de Wiza ou Ouiza.)

Chère sœur,

Il nous est pénible de parler de la division des chrétiens.

Les disciples du Seigneur Jésus ont eu pour commandement de s’aimer les uns les autres et non de se diviser et de se déchirer.

Car au commencement le Seigneur a parlé d’une Eglise, fondée sur l’apôtre à qui il changea, à cette occasion, le nom de Simon (Semâun) en Pierre (Azru , en kabyle (1), en Mt 16, 17-19). C’est du reste cet Evangile qui a été lu à la messe ce dimanche (21/08/05).

Et il n’y eut qu’une Eglise pendant les premiers siècles jusqu’à ce que la division s’installe parmi les chrétiens, avec les orientaux d’abord (Coptes, Chaldéens, Arméniens, etc.), puis avec les Orthodoxes au 11e siècle, et, pour finir, avec les Réformés (Luthériens, Calvinistes…) et les Anglicans. Sans parler des sous divisions au sein des trois grandes confessions que sont le Catholicisme, l’Orthodoxie et le Protestantisme.

Ils sont bien à plaindre ceux qui ont été à l’origine de ces séparations, au cours des 2000 ans d’histoire du Christianisme.

Notre ancêtre dans la foi, Augustin de Thagaste, l’actuelle Souq Ahras a dit : « Les bons usent du monde pour jouir de Dieu ; les méchants au contraire veulent user de Dieu pour jouir du monde. »

Celui donc qui veut servir ses frères, selon la demande du Christ Jésus, ne doit pas jouer avec la Parole de Dieu ! Qui intercédera pour lui au jour magnifique et terrible du jugement, s’il a trahi le seul intercesseur entre Dieu et les hommes ? À qui aura-t-il recours pour lui servir d’avocat ?

Car beaucoup se sont dit « disciples » du Christ, et aujourd’hui encore, hélas, certains le prétendent, tandis qu’ils ne cherchent qu’à user de Dieu pour leur fin personnelle.

Nous constatons, nous ne jugeons pas.

Nous le disons et le leur disons, à l’occasion lorsqu’ils cherchent à nous tromper.

En revanche heureux sont ceux qui cherchent à rétablir l’unité parmi les chrétiens, et qui promeuvent l’œcuménisme, tel frère Roger, de Taizé, qui vient de nous quitter brutalement.

Et tant que cette unité n’est pas réalisée, le vrai disciple du Christ ne peut que porter, dans son cœur, cette blessure, cette souffrance. La porter et demander quotidiennement au Seigneur de gloire de nous aider à l’atteindre.

Cela étant dit, nous ne pouvons éluder la réalité…

Les « Evangéliques » ou les « Evangélistes », car l’une et l’autre dénomination sont utilisées en français, constituent le dernier courant issu de la Réforme protestante (à parti de Luther au 16ème siècle). Il s’est inspiré, semble-t-il, des Méthodistes, du 19e, et des Pentecôtistes du début du 20e.

Ce courant prône l’évangélisation, d’où leur nom, donc le recours direct aux Evangiles bien sûr, mais à la Bible en général. Et comme la plupart des réformés (protestants), ils ne sont que modérément intéressés par la Tradition apostolique.

C’est en cela qu’ils se différencient de l’Eglise Catholique, pour qui la transmission ininterrompue, à partir des Apôtres, de l’enseignement de Jésus dans son ensemble, est essentielle : la succession apostolique, à travers les âges, est l’une des fondations de la communauté chrétienne, appelée Eglise. Les évêques catholiques actuels sont les successeurs des Apôtres… Ceux-ci, en effet, ont reçu un dépôt, dont les Ecritures, mais aussi les sacrements, qu’ils ont mission de transmettre et de préserver jusqu’au retour du Seigneur, avec l’aide de l’Esprit Saint.

Dans l’Afrique du nord chrétienne, on ne le sait pas assez, beaucoup de martyrs sont tombés parce qu’ils n’ont pas voulu livrer, aux serviteurs de l’Empire romain, les livres et les objets sacrés utilisés pour les mystères chrétiens (la liturgie de la messe ou du culte divin).

Cela a été vrai pour les Eglises orthodoxes d’Orient, pour les Coptes d’Egypte et les chrétientés d’Ethiopie, d’Arménie et de l’Inde.

Chacune de ces Eglises se constituant, au cours des siècles, autour de ce premier héritage apostolique, va y ajouter, peu à peu, un certain nombre de traditions spécifiques à sa propre culture, dont la langue (latin, grec, araméen, arménien, etc.), et la manière de célébrer la liturgie sont les points forts.

Ces traditions se mettent en place très tôt ; nous en avons quelques exemples dans les Confessions d’Augustin.

En même temps, bien entendu, se forge le dogme de la foi chrétienne, c’est-à-dire, en gros, la théologie : la lutte contre les hérésies va définir ce qui est « catholique » ou « orthodoxe » et ce qui ne peut être reçu comme tel, qui est par conséquent hérétique.

C’est ainsi que l’arianisme, qui niait la divinité du Christ, a pu être écarté.

Mais le meilleur exemple qu’on puisse donner, à l’appui de cette Tradition chrétienne, est la constitution du « canon » des Ecritures (2): ceux qui n’ont pas admis les Evangiles apocryphes comme des textes inspirés, sont les successeurs des Apôtres, et non ces derniers qui, de leur vivant, n’ont pas connu le Nouveau testament tel que nous pouvons le lire.

L’évangile des Hébreux, ou des Nazaréens (appelés aussi les Ebionites), notamment, dont s’est inspiré l’auteur du Coran selon beaucoup d’exégètes, était encore cité par les pères de l’Eglise au 4e siècle ; saint Jérôme (3) l’a étudié. Mais la Tradition ne l’a pas retenu parmi les évangiles inspirés.

Renoncer à la Tradition c’est vouloir se passer de l’arc qui a lancé la flèche ; quant à rejeter la flèche, à quoi peut bien servir un arc seul ?

À la Pentecôte, lorsque l’Esprit Saint descend, ce n’est pas par hasard qu’Il a choisi le collège des Apôtres, à Jérusalem précisément : c’est pour nous montrer que Dieu respecte la fidélité. Lui est fidèle à son alliance : l’ancienne d’abord, avec Israël, puis la nouvelle avec l’humanité toute entière, par Jésus-Christ. Il ne revient pas sur ce qu’Il a accordé. Il nous apprend que la continuité, entre les générations, est nécessaire. Il l’a voulu dés le début de l’histoire humaine, liés que nous sommes au péché de nos premiers ancêtres.

Qui peut dire qu’il n’est pas concerné par le péché d’Adam et Eve ? Pourtant ils n’avaient même pas d’enfants lorsqu’ils transgressèrent l’ordre divin !

De fait aucune génération ne peut se passer des précédentes ; le christianisme ne peut se passer du Judaïsme, lequel ne peut ignorer la promesse faite au patriarche Abraham. Or s’il y a eu promesse à Abraham c’est qu’il y a eu une rupture, avec Dieu, à partir de la tour de Babel, alors qu’auparavant Il avait fait alliance avec l’humanité représentée par Noé, échappé au Déluge. Il y a ainsi une continuité depuis Adam jusqu’à Jésus Christ : ce caractère universel de la transmission est marqué dans la Bible, par le célèbre commandement « d’honorer son père et sa mère » Ex 20,12. Et il est à nouveau actualisé avec l’ascendance de Jésus : « …fils d’Enos, fils de Seth, fils d’Adam, fils de Dieu » Ce passage de Luc (3,38) n’a pas été écrit pour l’érudition, mais pour nous enseigner que nous devons tenir compte de ceux qui nous ont précédés.

De sorte que Jésus n’a pas voulu instituer une Eglise, ex nihilo, ce qu’Il aurait pu, mais dans une continuité humaine et historique remarquable : au sein du peuple d’Israël et avec un premier socle juif.

Car il s’agit de former le « peuple de Dieu », au final.

L’Eglise est le peuple de Dieu. Saint Paul a l’audace de l’appeler ‘épouse du Christ’.

L’Eglise est l’épouse du Christ, au sens mystique et spirituel du terme. Par notre adhésion à Jésus nous entrons dans la « Nouvelle Alliance » : nous sommes en quelque sorte « épousés » par Lui. Et comme, selon la formule biblique, l’époux et l’épouse ne forme plus qu’un seul corps, nous aussi, tous les chrétiens ensemble, formons un seul corps avec le Christ !

Lorsque nous disons que nous sommes le « corps du Christ », il s’agit de tous les chrétiens. Or qui connaît mieux que Jésus, Lui qui est la tête de ce corps, quels en sont les membres ?

Si bien qu’il ne peut exister qu’une seule Eglise du Christ, qui se compose de tous ses disciples, à commencer par les Apôtres, jusqu’au dernier chrétien du dernier instant avant son retour dans la gloire.

En conclusion, chère sœur, il n’est pas raisonnable de se passer des Ecritures ni de la Tradition par qui elles nous ont été transmises. Il faut tenir les deux bouts de la corde, sans quoi elle se détend et retombe lâchement.

1- Dont nous avons fait le prénom Wazru.

2- Le canon c’est-à-dire ce qui est admis, en l’occurrence les textes reconnus inspirés de Dieu. D’ailleurs en kabyle on dit : D LQANUN, c’est admis, c’est obligé.

3- L’auteur de la Vulgate : c’est ainsi qu’est appelée la première traduction de la Bible en latin (5e siècle).

Humble et fidèle à son Seigneur, une seule Eglise