Y-a-t-il eu un printemps algérien ? (*)

Certains pourraient croire que l’Algérie en est à son 51ème printemps, puisqu’elle a été indépendante en 1962. C’est oublier qu’à la fin du printemps de cette année-là, à savoir le 20 juin, l’Algérie n’est pas encore officiellement indépendante, puisqu’elle ne l’a été que le 1er juillet 1962 ; en réalité la date retenue par les Algériens est encore plus tardive puisque c’est le 5 JUILLET 1962.

De sorte que le printemps 1962 appartient à l’Algérie française et, de fait, c’est le dernier sous cette dénomination ; qu’en conséquence le premier printemps algérien étant celui de 1963, celui de l’année en cours est bien le 50ème pour l’Algérie indépendante.
Mais le plus connu de tous ces printemps c’est celui de l’année 1980, en Algérie et peut-être au-delà. Appelé « le printemps berbère », ou « tafsut imazighen », il marque la date du réveil de la revendication culturelle berbère par les Kabyles. Vingt ans après il y a eu un autre printemps, dit « noir » en raison de la brutalité de la répression policière, plus de 120 morts, sans compter le grand nombre de blessés. Le premier de ces deux printemps, celui de 1980, eut donc lieu du temps de la présidence de M. Chadli Benjeddid et le second durant le premier mandat de M. Bouteflika, en 2001. Comme l’état algérien ne les prend pas en considération, il serait incongru de les verser à l’actif de l’Algérie, d’autant plus que les évènements de 1988, qui voient l’entrée en scène du FIS[1], ont eu lieu en automne, comme le déclenchement de la guerre d’Algérie en 1954.

Pourquoi l’Algérie n’a pas eu son printemps arabe ?

Qu’en a-t-il été du printemps « arabe » en Algérie, à partir du 29 décembre 2010, c’est-à-dire 12 jours après le début de la révolte tunisienne ? Malgré cette proximité avec le pays où eut lieu la révolution du « jasmin », qui a brillé au firmament de l’espérance démocratique des Arabes, les masses algériennes qui ont bougé durant les trois premiers mois de 2011, l’ont fait pour de basses raisons matérielles, en provoquant des émeutes importantes par suite des graves augmentations des prix des aliments de base, comme la farine. Il est vrai que les forces policières, et militaires, ont veillé au « grain », si on peut dire, pour éviter que ces émeutes « du ventre » ne deviennent politiques : dés qu’une manifestation moins spontanée était annoncée, le lieu où elle devait se dérouler était bouclé ; et les organisateurs bousculés sans ménagement. La population, surtout, n’a pas suivi et a continué à pratiquer la méthode de l’émeute violente et inorganisée, mais plus payante à ses yeux.
Le pouvoir politique n’a pas lésiné sur les moyens pour satisfaire les revendications salariales et alimentaires. Il a ainsi évité, du fait des possibilités financières qu’offre la rente pétrolière, que les émeutes se transforment en revendications politiques majeures, bien qu’il ait fait quelques concessions, comme par exemple des autorisations de création de nouveaux partis.
Et, signe positif, on a vu à cette occasion combien la société civile algérienne est restée méfiante à l’égard de toute instrumentalisation de son légitime mécontentement, par les partis politiques, mais surtout par le courant islamiste, qui tente chaque fois de la prendre en charge.
Cette pratique algérienne de provoquer des émeutes pour obtenir la satisfaction de besoins économiques, est ancienne. Que ce soit pour la distribution de l’eau, de l’électricité ou du gaz (ce qui est un comble pour un pays producteur), ou pour l’obtention de logements, ce fut le meilleur moyen de se faire écouter des autorités locales ou nationales dés le début des années 2000. Mais alors pourquoi cette réserve face aux révolutions arabes, si les révoltes sont anciennes ? C’est qu’il y a eu l’antécédent de 1988, qui a permis aux islamistes de récupérer les émeutes et d’enclencher la terrible décennie noire du terrorisme dont la mémoire est vivace : on avance le chiffre de 200 000 morts et disparus.
Les révoltes de la faim d’octobre 1988 ont permis la naissance et le développement d’un parti qui a failli prendre le pouvoir. Le Front Islamique du Salut, dont le sigle a fait dire et écrire à certains journalistes qu’il était le fils du FLN[2], est aux yeux de beaucoup d’Algériens, la catastrophe des catastrophes qu’il faut à tout prix éviter. Son spectre a fait qu’ils préfèrent de loin une dictature militaire à l’éventualité d’une théocratie fondamentaliste d’inspiration wahhabite.

 Regard algérien sur les printemps arabes

Le résultat le plus singulier, de ce manque d’enthousiasme à participer à ces révolutions printanières, est qu’aujourd’hui les meilleures analyses, sur les printemps dit arabes, se lisent dans les articles des journaux algériens, en particulier ceux qui sont francophones : que ce soit pour ceux qui ont soi-disant « réussi », tels ceux de Tunisie et d’Égypte, qu’on a « fait » réussir tel celui de Libye ou celui qu’on veut à tout prix faire réussir en Syrie. Suspicion sur les intervenants (Qatar, Arabie Saoudite, pays occidentaux, les USA en tête) et sur la spontanéité/simultanéité des mouvements de foule, etc. Par exemple les opposants locaux aux «régimes» qui sont tombés, écrit-on, comprennent : les cyberdissidents, dont beaucoup vivent à l’étranger, et parmi eux nombre d’islamistes ; les ligues de droits de l’homme affiliés à la FIDH. En Tunisie, il y a eu aussi le syndicat UGTT et le syndicat des avocats. Autre exemple, pour le voisin libyen : « […] celle de Sarkozy jouant les libérateurs juchés sur une tribune de fortune après la mort de son possible financeur Kadhafi. Là aussi, c’était dément ! En tout cas, si les révélations du journal italien sont avérées, la mort de Kadhafi n’aurait pas été celle d’un tyran mais le fruit d’une sorte de règlements de compte mafieux. »[3]
Sur la Syrie : « Pour en revenir aux attaques israéliennes, précisons ceci : comme les États-Unis ne peuvent pas intervenir militairement pour soulager les «rebelles» syriens face à la pression de l’armée de Bachar, il importait qu’Israël invoque n’importe quel motif pour inverser un rapport des forces défavorable aux insurgés sur le terrain militaire ! Car, à l’instar de Washington et de ses vassaux qataris et saoudiens, pour Tel-Aviv, la destruction de l’Iran passe par Damas ! Un objectif risqué car rien ne dit qu’une implosion de la Syrie n’entraînerait pas à terme une déstabilisation généralisée et ingérable de toute la région. » Et encore : « Damas s’est révélée au fil des événements, fussent-ils dramatiques, inacceptables et condamnables, résistant face aux manœuvres du “printemps arabe” version syrienne diligentées sous la houlette du Qatar et de l’Arabie Saoudite avec l’appui entier de la France et de la Turquie. »[4]

 Isolement de l’Algérie

Tous les analystes et journalistes algériens sont d’accord sur un point, l’isolement du pays, aujourd’hui entouré par des états, soit entre les mains des islamistes déclarés : Tunisie, Lybie, Maroc (le parti islamiste de la paix et du développement est au pouvoir depuis les élections de 2011) ; soit en proie à une instabilité que l’islam radical sunnite peut faire basculer à tout moment. Car le wahhabisme et le salafisme sont en train de supplanter partout l’islam plus ou moins traditionnel des pays formant le monde arabe. Le seul pays à faire exception, au niveau des gouvernements régnants s’entend, est l’Algérie.
Du reste l’ambassadeur d’Algérie en Égypte a eu un sévère accrochage verbal avec le ministre des affaires étrangères qatari lors de la rencontre de la Ligue arabe[5] de févier 2013. Ce dernier aurait déclaré au représentant algérien : « Arrêtez de défendre la Syrie parce que votre tour viendra ! » Si bien que les agitations dans les pays du Sahel, voire dans le sud algérien, sont interprétées comme la mise en œuvre d’une déstabilisation programmée du pays. Et de fait la mouvance islamiste en Algérie comporte un courant pro-saoudien qui s’en prend même aux rares chiites du pays[6], et qui a depuis les années du GIA (1990) les faveurs d’Al Qaida, qui a créé sa version maghrébine, l’AQMI[7]. Bref les puissances de la péninsule arabique, qui souhaitent mettre la main sur tout le monde arabe, veulent faire rentrer dans les rangs l’Algérie. La maladie de son président, M. Abdelaziz Bouteflika, n’est pas fait pour arranger les choses, car le système militaro-politique semble se chercher un homme providentiel ou charismatique, pour le remplacer aux prochaines présidentielles de 2014. Et quelques uns parlent même de recourir, une nouvelle fois, à M. Liamine Zeroual qui pourrait faire consensus autour de sa personne s’il acceptait de revenir au pouvoir…ou si ses pairs arrivaient à le convaincre.

 Espérance chrétienne, mais pas catholique (voir en 2ème page la suite)

Malgré tous ces signes d’expansion islamiste dans le pays, malgré la mise au pas des partis politiques d’opposition et de la région kabyle, une grande partie de la population est lasse de l’islamisme, pour ne pas dire de l’islam tout court, dans son emprise sur la société. Mais aucun parti, même en Kabylie, n’est prêt à soutenir une telle revendication, à savoir séparer le temporel du spirituel. Curieusement ce legs de la France républicaine et, de fait, chrétienne, les Algériens commencent à regretter sa disparition, à tel point qu’un ami m’a dit sur place : « ce n’est pas aux Français que la laïcité convient mais à nous les Algériens. Les Européens[8] veulent prendre la place de Dieu, tandis que nous voudrions juste nous débarrasser de ceux qui veulent nous imposer leur vision de Dieu. »

Justement qu’en est-il des chrétiens autochtones. Je rapporterai simplement cette anecdote authentique qui s’est déroulée lorsque j’ai voulu participer à la messe :

Moi : chère Madame, il est 10h30 passée et j’ai l’impression qu’il n’y aura pas de messe. Nous sommes pourtant bien le vendredi ?
La dame : Oui, sauf que la messe a lieu maintenant le samedi[9]. Vous pouvez donc revenir demain à 9h00, si vous voulez être avec les paroissiens « locaux » ou à 10h30 si c’est juste pour la messe ; vous serez avec les étudiants subsahariens dans ce cas.
Moi : parce que les locaux n’ont pas droit à la messe ?
La dame : bien sûr que si, mais ils sont initiés de 9h00 à 12h00 aux textes de Vatican II, et après il y a la messe pour eux. Ils en ont besoin, pour mieux comprendre l’Église d’aujourd’hui, pour bien réaliser ce que vivent les chrétiens d’Algérie, et pour mieux saisir la portée du sacrifice des moines de Tibhirine, par exemple… Il y a d’ailleurs un pèlerinage à Tibhirine dans deux semaines si vous êtes encore là. Chaque année nous allons, avec l’évêque, à Notre-Dame de l’Atlas[10].
Moi : même si j’étais encore là, je ne viendrais pas.
La dame : pourquoi  donc ?
Moi : parce que, comme les textes de Vatican II, ce n’est pas la nourriture dont nous avons besoin, nous les chrétiens autochtones. Nous avons besoin de l’Évangile et de Jésus Christ.

Comment en est-on arrivé là ? Croire que les textes de Vatican II enracinent davantage la foi en Jésus Christ que les Évangiles, est insensé ! Mais je sais dans quel but ces chrétiens non-autochtones, laïcs et prêtres, souhaitent bourrer le crane aux pauvres néophytes, dont il n’est jamais question sur les articles des périodiques publiés par l’Église d’Algérie. La consigne est de les former au dialogue avec l’islam : un ex-musulman devenu chrétien catholique ne doit jamais parler en mal de l’islam.

Je n’ai pas besoin d’en dire plus sur mes déceptions ; en effet cela ne date pas d’aujourd’hui. Mais de 1971, lorsque je fus présenté, par le prêtre qui me logeait du côté de la « Redoute », dans le presbytère de l’église Ste Anne (pour ceux qui l’ont connue), à Mgr le Cardinal Duval. Le prêtre avait été élogieux dans sa présentation, insistant sur le fait que j’avais reçu le baptême l’année d’avant et que je ne craignais pas de revenir dans mon pays affronter l’adversité. Après m’avoir toisé du haut de ses deux mètre, puis serré la main, le grand cardinal se contenta de me dire : « Bonjour ». Je suis resté un moment, je m’en souviens, à le regarder s’éloigner « sans autre forme de politesse ».
Chacun comprendra pourquoi je me sens plus à l’aise avec les frères protestants, évangéliques et autres adventistes.
Car si les catholiques arrivent à baptiser une petite dizaine d’autochtones dans l’année, avec beaucoup plus de moyens, de considération et de notoriété historique, de la part de la population, les protestants en revanche baptisent 50 fois plus, et par mois, en dépit des soupçons de prosélytisme et de l’hostilité du milieu islamique.

Bien qu’il y ait d’énormes obstacles, l’avenir de l’Algérie sera chrétien ou ne sera pas. Toutefois, à moins d’un miracle toujours possible, il ne sera pas catholique non plus, car l’Église d’Algérie ne prépare pas de relève autochtone pour tous ses prêtres et laïcs qui partiront un jour prochain, à cause de l’âge ou à cause de papiers non renouvelés.

(*) cette page 1 correspond à l’article qui a été publié dans le numéro 299 (06/2013) de Reconquête

[1] Le « Front islamique du salut » duquel naitra le terrorisme islamique à partir de janvier 1992, suite à l’arrêt des élections législatives qu’il était sur le point de remporter.

[2] Le Front de libération national, créé en 1954, est toujours au pouvoir en Algérie, 50 ans après l’indépendance.

[3] Extrait de « le soir d’Algérie » du 12 5 13.

[4] Journal « Liberté ».

[7] Al Qaida du Maghreb Islamique.

[8] La traduction juste du mot « Roumi ».

[9] L’Algérie après avoir, du temps de M. Boumediene, adopté en 1976 le weekend islamique (jeudi et vendredi), est revenue au semi universel (vendredi et samedi) en 2009.

[10] C’est le nom du monastère des trappistes assassinés en 1996.