On y fête le printemps depuis toujours.
Mais désormais il y a plus d’un printemps.
– Le printemps immuable, celui des naissances et des renaissances, à la rencontre duquel allaient, naguère, les filles et les garçons, pour s’ébrouer de bon matin dans les champs en fleurs, recueillant dans leurs petites menottes l’eau claire des fontaines : c’est celui de nos aïeux, TAFSUT, qui commence au début de MEGHRES, le mois de mars, et finit en mai, MAGU.
– Puis vint le printemps des promesses de liberté, des espoirs d’authenticité, celui d’avril 1980 ; le pays, dans ses monts et ses vallons, s’étant levé pour son identité et pour faire ôter la chape de plomb qui pesait sur lui. Pour peu de temps hélas ! Les vautours dispersés et chassés un temps du lieu de leurs charognes, leur terrain de prédilection, y revinrent faute de bergers vaillants ou vigilants…
– Nul ne l’a prévu, normalement, ce dernier printemps, noir et menaçant. Est-il le fruit du hasard ou le résultat d’opérations occultes ? Rien n’est sûr dans les alcôves secrètes du pouvoir où l’on cultive soigneusement l’opacité et le mépris du peuple.
Quoi qu’il en soit, par le nombre de victimes et par sa longévité, ce printemps-là fut terrible: quatre longues années de manifestations qui ont fait perdre tout espoir de changements dans le pays de Massinissa…
Aujourd’hui la justice n’est toujours pas rendue. Et ce sont les criminels et les bourreaux qu’on libère !
Pendant ce temps les maux s’accumulent sur le pays des trois printemps : prostitution et drogues, délabrement de l’économie et des infrastructures ; les poubelles et les dépotoirs sans nombre défigurant les paysages et développant des maladies d’un autre âge ; pauvreté et mendicité croissante ; disparition des solidarités sociales et villageoises de jadis, perte des valeurs…
La Kabylie a mal, la Kabylie s’enfonce dans le désespoir, au point que de plus en plus de jeunes et de moins jeunes préfèrent se suicider.
La région est punie par le pouvoir central pour lui avoir tenu tête. Il veut soumettre sa population fière et digne, libre et indépendante, de gré ou de force.
Non content de laisser pourrir la situation, on y encourage l’arabisation et l’islamisation dans sa version radicale, nouvellement importée.
Et on veut empêcher les Algériens qui le souhaitent d’aller à la rencontre de Jésus Christ.
On promulgue des lois qui prétendent interdire l’annonce de l’Evangile.
Or si la Bible est falsifiée, de quoi ont-ils peur ?
Et si la communauté musulmane est la meilleure qui soit sur la terre, pourquoi est-il interdit de la quitter ?
C’est ce pays kabyle que nous voulons Te présenter, Seigneur, en cette semaine de Pâques durant laquelle nous nous remémorons Ta victoire sur les forces du mal ; Ton triomphe par la croix, ô Notre Rédempteur, afin que Tu prennes en pitié les hommes et les femmes, nos frères et nos sœurs, victimes de l’injustice et de la cruauté de ceux qui, selon tes paroles, « chefs des nations, les tiennent sous leur pouvoir ; grands et puissants, ils dominent sur eux. »
À quand Seigneur la réalisation de cette promesse exprimée par Ta sainte mère ?
« Il est intervenu de toute la force de son bras ;
Il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse ;
Il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles ;
Les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides. »
Tu as fixé un terme, Seigneur, dans Ta grande sagesse, aux forces du Mal, nous le savons ; prends pitié de notre faiblesse, car nous sommes impatients de voir le grand jour de Ta justice. Ce jour si terrible qui fait trembler Ton ennemi, et que craignent les fils des ténèbres !
Oui, Ô Roi de justice, nous attendons la manifestation de Ta gloire, pour que Tu essuies toute larme, que Tu bannisses à jamais l’iniquité et l’arbitraire.
En attendant, Seigneur, nous savons que dans ton immense bonté, Tu n’oublies pas nos frères affligés et brisés par l’injustice qui les accable!
C’est pourquoi, au nom de Ton Eglise, à qui Tu as confié la mission de prier pour tous les hommes, nous Te demandons de prêter l’oreille à notre supplique ! Toi le compatissant, le Dieu d’amour et de vérité, regardes et soutiens :
– les innocents et toutes les victimes martyrs de l’aveuglement terroriste, tels :
– Lwennas Mâatub assassiné en 1998 ;
– Massinissa des At-Dwala, Massinissa des At-Aysi, Yasin B., Yunes T. et Mmi-s ’Buândas ; Kamel I. et Sadeq n-Sedduq et tous ceux qui sont tombés avec eux, pendant ce printemps noir.
– Les blessés et handicapés à vie tel Hakim B., leurs parents et leurs soutiens.
– Tous ceux qui se sont levés pour la défense de la justice et de la vérité dans les villages et les tribus, tels les gens de T’Kout.
– Les jeunes qui se sont exilés, ceux qui ont tellement souffert qu’ils sont ébranlés à jamais ; tous ceux qui ont été atteints dans leur chair, dans leur dignité, et tous ceux qui ont été trompés et qui ont trempé dans le crime.
– Nos frères chrétiens ou qui aspirent à l’être, vivant en Algérie.
– Les femmes et les étrangers.
– Les Kabyles et tous les Algériens sincèremment épris de justice et de paix.
Prends pitié enfin des politiques et des gens au pouvoir, responsables directement ou indirectement, tel le président Butfliqa, afin qu’ils reconnaissent leurs torts et Te demandent pardon, évitant ainsi, s’il n’est pas trop tard, de subir Ton courroux.
Dieu bon et miséricordieux, ce sont aussi Tes enfants, et Toi seul les aimes et connais le danger qu’ils courent s’ils ne se repentent pas.
Sauves nous Seigneur des griffes de notre accusateur, pardonnes nous au nom de Jésus Christ, Ton Fils bien aimé, car nous n’avons pas suffisamment prié, et nous n’avons pas rejeté et combattu assez le mal, lorsque nos frères souffraient. Aides nous à dénoncer toujours toutes les injustices dont nous sommes témoins.
Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit, le seul Dieu, pour les siècles des siècles !
Amen.
Le 20 avril 2006.
N.B. Sous la photo representant le chantre kabyle, Maâtub Lwennas, il y a cette phrase tirée d’une de ses chansons:
“Si vous êtes joyeux, je suis aussi dans la joie, si vous êtes dans la peine, je la partage avec vous!”
Il s’adressait à ses frères…