Méditation sur notre foi.

2- Mais hommes de foi essentiellement.

Dans notre précédente réflexion (Hommes de peu de foi), nous avons affirmé en préambule que, nous, les néo-chrétiens, venus de la tradition musulmane, nous prenons « au sérieux » les paroles de l’Evangile.

Dans ce second volet nous allons tenter de préciser cette assertion.

Ainsi que nous le dit saint Paul : « nous estimons que l’homme est justifié par la foi » Rom 3, 28. Nous n’entrerons pas évidemment dans la vieille discussion que suscita « la justification par la foi », mais il importe de noter, dans cette même épître, le fameux passage: « Abraham crut à Dieu, et cela lui fut compté comme justice », Rom 4, 3.

Nous avons là, Seigneur, le condensé de ce que tu attends de nous. Finalement notre seul mérite : croire en Toi, et te faire confiance. Quelle œuvre, en effet, serait notre propriété, sortie « ex-nihilo » de nos mains ? Tout vient de toi, que ce soit la matière que nous travaillons, l’espace dans lequel nous nous mouvons, ou le temps qui nous a été imparti. Les œuvres de charité, elles-mêmes, nous te les devons puisque c’est grâce à la santé, au temps que tu nous donnes, grâce aux « talents » dont tu nous dotes, que nous les réalisons.

Avons-nous de l’intelligence pour pénétrer les secrets de l’univers ? Cela nous vient de toi. Sommes-nous pétris de sagesse ? Cela t’est dû. Avons-nous le don des langues ? Pareillement nous te le devons. Quel est le don dont nous serions pourvu qui ne soit pas de toi ? Aucun.

Ce qui nous appartient en propre, en revanche, c’est notre liberté d’en user, pour le bien des autres (donc pour toi) ou pour notre égoïsme ; pour te dire oui ou non, tout au long de notre vie, par nos actes quotidiens de bonté et de services rendus à autrui.

Le bel exemple d’Abraham, que prend Paul, est de ce point de vue tout à fait édifiant, et, sans doute, est-ce la raison pour laquelle Tu as voulu que, malgré ses presque 40 siècles d’ancienneté, il nous soit proposé aujourd’hui encore par l’Ecriture.

Qu’a fait Abraham pour « mériter » tant de reconnaissance ?

Des miracles plus grands que ceux de Moïse devant Pharaon ? Des victoires militaires plus éclatantes que celles de Josué ou de David ? Des prophéties plus impressionnantes que celles d’Isaïe ou de Daniel ? Nous a-t-il laissé des prières plus profondes que les psaumes ou des proverbes dignes de la sagesse de Salomon ? Rien de tout cela.

Par sa foi en Toi, il a quitté son pays et, surtout, il a obéi à cette terrible demande que Tu lui fis de sacrifier son fils unique, celui qu’il eut dans sa vieillesse, que Tu lui avais donné malgré l’âge avancé de sa femme Sarah !

Que ceux qui sont pères (ou mères) considèrent un instant cet acte incroyable et le relisent dans la Genèse -22, 1-14-, en pensant à leur propre enfant : quelle foi, quelle confiance aveugle !

Il faudrait avoir la plume d’un James Joyce, pour narrer les sentiments par lesquels Abraham est passé : les révoltes intérieures dominées, les questions sans réponses écartées, l’obéissance, en dépit de son incompréhension, à ce Dieu illogique et contradictoire, qui lui donne un enfant afin de le lui enlever quelque temps après. La demande était si extravagante, qu’il n’a dû la confier à personne d’autre, et certainement pas à Sarah. Angoissante responsabilité justement : et s’il se trompait, si Dieu n’avait jamais demandé chose pareille et qu’il avait imaginé tout cela ?

Cet exemple(1) nous apprend une chose : pour que la confiance s’installe définitivement, entre nous et Toi, Seigneur, notre foi exige une part d’abandon, une certaine obéissance ; l’obéissance à tes commandements d’une manière volontaire et non pas par fatalité ou par soumission « à son corps défendant » !

Distinguons bien les significations des deux mots en français, car ils s’utilisent dans des contextes proches : pour qu’il y ait obéissance il faut qu’il y ait eu la liberté ; tandis que pour obtenir la soumission la contrainte est souvent nécessaire. La contrainte par la force ou par la peur, peu importe, mais ce n’est plus un acte libre et volontaire, nous sommes contraints et forcés. Ce qui n’est pas le cas de l’obéissance. Si bien que nous avons cette conclusion (Gn 22, 18) : « Par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre, parce que tu m’as obéi. »

L’ange de Dieu n’aurait pas dit cela à Abraham si celui-ci n’avait pas toute latitude pour désobéir. Comment montrerions-nous que nous sommes croyants si, créés libres, nous n’avions pas cette possibilité?

En vérité notre liberté s’exerce surtout envers Toi, notre Dieu.

Car, en faisant des œuvres selon notre conscience, nous acquiesçons à tes commandements inscrits dans notre être le plus profond ; et, quand bien même nous nous dirions athées, nous ne sommes pas sans foi ni loi, puisque nous obéissons à cette conscience qui nous dicte de faire le bien. Quoi que sans religion, nous nous rangeons de fait de ton côté, Toi le suprême bien, la source du bien par excellence.

De sorte que Abraham n’est pas un « soumis », au sens d’esclave, mais un obéissant, un « acceptant » de la volonté supérieure, des commandements divins. L’obéissance étant sœur de l’humilité, elle rejoint l’abaissement volontaire. L’obéissance, comme l’abaissement, sont délibérés. Nous le voyons bien dans le Nouveau Testament. Car l’Ancien nous prépare au Nouveau. Et l’histoire du sacrifice d’Abraham nous est donnée aussi comme exemple pour nous annoncer, nous préparer à la Passion du Christ.

Nous savons, en effet, nous chrétiens, que le sacrifice inaccompli du fils d’Abraham, préfigurait celui du Fils éternel, lequel s’est bien accompli en revanche, sur la croix. Le Père éternel, Lui, a consenti à aller jusqu’au bout du sacrifice de Son Fils. Il aurait pu l’interrompre, en effet, comme pour Isaac : « Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? » dit Jésus à Pierre (Mat 26, 53). Et, au Jardin des Oliviers, cette demande de Jésus : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. »

Nous sommes là au cœur du mystère pascal : l’agneau que l’on mène à l’abattoir ne désire pas la mort, à laquelle il ne consentira que pour autant qu’elle sera l’accomplissement de la volonté du Père. Autrement cela ne serait pas crédible. Le Christ va vraiment souffrir, puisque sa mort est horrible et cruelle. Dieu ne fait pas de cinéma. Evidemment nous ne pouvons réaliser l’ampleur de ce sacrifice sanglant du Dieu créateur. Il faudrait pour cela comprendre les dégâts causés à l’humanité par le péché originel. Paul, dans l’épître aux Hébreux, nous explique ce travail gigantesque :

« C’est pourquoi, en entrant dans ce monde, le Christ dit : « Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation ; mais tu m’as façonné un corps. Tu n’as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour les péchés. Alors j’ai dit : Voici, je viens, car c’est de moi qu’il est question dans le rouleau du livre, pour faire, ô Dieu, ta volonté. » […] Et c’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l’oblation du corps de Jésus Christ, une fois pour toutes. » (Hé 5, 5-10)

Cela ne s’explique que par le projet qu’a eu Dieu, dés le commencement, de faire de nous Ses enfants, à l’image du Fils éternel. Et il fallait pour cela l’abaissement incroyable de Jésus qui commence le Jeudi saint :

« Comprenez-vous ce que je viens de faire ? Vous m’appelez « Maître » et « Seigneur », et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » (Jn 13, 12-15)

Et nous avons cet éclaircissement de Paul :

« Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix. » (Ph 2, 6-8)

Le plan de Dieu sur nous, a été révélé par la manifestation de Jésus Christ : en Son Fils bien-aimé Il veut avoir une multitude d’enfants destinés à posséder la vie divine. « Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ », nous affirme clairement Jésus en Jn 17,3.

Être ou ne pas être enfant de Dieu, voilà la seule réponse que nous avons à donner.

Nous la donnons par notre baptême, bien sûr. Mais également, tout au long de notre vie, par nos actes. Ces actes que déclare bons le Roi des rois de Mt 25, 31-46, à tel point que, comme le baptême, ils ouvrent les portes du Royaume.

Tout alors s’explique : la création, le temps et l’histoire humaine qui a un commencement et une fin, à laquelle nous participons bien entendu pour, au final, donner notre réponse. Dieu nous ayant créés, une première fois, sans solliciter notre avis, nous le demande pour la vraie vie, celle de fils et de fille de Dieu, par et en Jésus Christ, l’agneau immolé et le grand prêtre pour l’éternité qui nous absout de nos péchés.

Qui peut dés lors nous enlever cette espérance ?

Qui nous propose une destinée supérieure ?

À quoi peut nous servir un Paradis rempli de vierges ?

Quel roi de la terre, quel philosophe ami des hommes, quel prophète ayant donné sa vie par amour pour les siens, est l’égal de Jésus qui nous a ouvert les portes du Ciel après nous avoir libérés de nos chaînes ?

Après Jésus Christ, il n’est plus de roi, il n’est plus de philosophe, il n’est plus de prophète, qui puisse rajouter quoi que ce soit au sens de la vie, à l’espoir de l’homme de connaître le bonheur éternel, d’être élevé au rang divin.

En la fête de Pâques 2005 : Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité.

Lmasih’ yekker ed, d ssah’ yekker ed!

(1) L’autre exemple étant celui du « bon larron » : la confiance totale qu’il accorde à l’homme (ecce homo) prés de lui, tordu par la souffrance, réduit à moins que rien, sans aucun attribut royal, encore moins divin, lui vaut d’entrer dans le Royaume des Cieux avant les plus grands saints.

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