Cette question nous a été posée plus d’une fois, par nos visiteurs.

Ces visiteurs ont pour espace géographique l’Afrique du Nord, bien sûr: que ce soit au présent ou au passé.

Ce sont ceux-là qui ont besoin d’une réponse, car les autres, ceux qu’une compatriote appelle les « chrétiens sociologiques », ou bien se reconnaissent chrétiens du bout des lèvres, ou bien ont rejeté toute référence au christianisme, hélas.

1- Quelle peut être notre réponse, à ceux qui nous interrogent ?

– a) Finalement qui sommes-nous, nous qui nous déclarons chrétiens sans honte ni arrogance ?

– Sommes-nous des « convertis » à l’une des religions chrétiennes, puisque, par malheur, l’Eglise du Christ est divisée, juste par rejet de la foi héritée de nos ancêtres ?

– Ou alors, ayant reçu le baptême, adolescent ou adulte, après une période d’enseignement plus ou moins longue, voulons-nous changer de pratique religieuse en allant, le dimanche, à l’église ou au temple, de temps en temps ; et prendre un autre nom, accessoirement, dans le but de s’intégrer ou d’entrer dans un univers culturel qui convienne mieux à notre façon de vivre, rompant définitivement avec nos anciennes communautés d’origine ?

– S’agit-il d’arborer une croix au cou, de se donner le droit d’enfreindre les interdits alimentaires, le cas échéant, et de critiquer la tradition que nous avons pu quitter ?

– Peut-être faut-il avoir appris par cœur les Evangiles, le Credo, le Notre Père et l’Ave Maria, et toutes les prières complémentaires, dont les dix commandements, s’astreindre à les dire sans trop y ajouter foi ?

– Ou bien, peut-être, s’agit-il de revenir à la foi primitive de ses ancêtres ?

Et on pourrait continuer à énumérer d’autres motifs de se dire chrétien, d’autres raisons de se convertir…

Faut-il parler, justement, de convertis ou d’adhérents (plutôt d’acceptants*), en sachant que la signification des mots change avec le temps, et, surtout, d’une langue à l’autre ?

Un exemple, parmi tant d’autres, celui du mot « charité », utilisé pendant des siècles pour signifier l’amour de Dieu et du prochain, et qui, de nos jours, veut dire simplement « bienfaisance ».

Il en est de même du mot « conversion » défini comme « une action de convertir à une croyance, et particulièrement d’abandonner une religion pour une autre ; ou passage de l’incroyance à la foi religieuse ».

– b) Est-ce que le Seigneur Jésus lui donne ce sens lorsqu’il parle de conversion ?

Essayons de comprendre ce qu’il nous demande en prenant, non pas une parabole, mais le fait divers relaté par le passage de Luc, au demeurant jugé assez énigmatique (Lc 13, 2-4) :

« Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens pour avoir subi un tel sort ? Non, je vous le dis, mais vous périrez tous de même.

Et ces dix-huit personnes sur lesquelles est tombée la tour à Siloé, et qu’elle a tuées, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Non, je vous le dis, mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière. »

Le Seigneur, en cet endroit, ne parle pas de changer de religion aux Juifs : la religion chrétienne n’existant pas encore. Donc la conversion n’est pas une affaire de religions, contrairement à la définition du dictionnaire. Le Christ ne la voit pas ainsi : pour lui elle a été et sera toujours une affaire entre Dieu et sa créature pécheresse (Jn 8, 1-11) ; et plus exactement, comme dans la parabole de l’enfant prodigue (Lc 15, 11-32), une affaire entre le Père et son enfant égaré, à qui il adresse, expressément, cette supplique : ‘REPENS-TOI, CONVERTIS-TOI, pendant qu’il est encore temps !’

2- Alors, si se convertir, ce n’est pas changer de religion, qu’est-ce que c’est qu’être chrétien ?

– a) Disciple avant tout.

Pour cela revenons à la base, c’est-à-dire à Celui qui « nous fait devenir chrétiens ». Car ce mot vient de Christ (le « oint »), comme AMASIHI (chrétien, en kabyle et en arabe) vient de LMASIH (le Christ), comme bouddhiste vient de Bouddha. Ainsi donc celui qui est chrétien, est disciple du Christ, appartient à Christ.

Retournons à l’Ecriture et relisons le chapitre 9 de l’évangile de Jean où il est question de cet aveugle né (Jn 9, 1-41), épisode resté célèbre. Arrêtons-nous aux versets suivants :

“Pourquoi voulez-vous l’entendre encore une fois ? N’auriez-vous pas le désir de devenir ses disciples vous aussi ? » Les Pharisiens se mirent à l’injurier et ils disaient : « Toi, tu es son disciple ! Nous, nous sommes disciples de Moïse.”

Et, de fait, l’aveugle-né se prosternera devant Jésus en lui disant : « Je crois, Seigneur. »

Voilà donc le bon terme, et la bonne attitude : être disciple.

Le disciple est celui qui met « ses pas dans les pas » de Jésus, qui le suit donc « pas à pas ».

Nous avons ainsi ce passage des Actes où Pierre dit ceci :

« Il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus est entré et sorti à notre tête, à commencer par le baptême de Jean jusqu’au jour où il nous a été enlevé : il faut donc que l’un d’entre eux devienne avec nous témoin de sa Résurrection.» Ac. 1, 21-22

Voilà un rajout intéressant : le disciple est témoin de la Résurrection de Jésus Christ.

Enfin nous avons, toujours dans les Actes (11, 26) : « Et c’est à Antioche que, pour la première fois, le nom de « chrétiens » fut donné aux disciples. »

Auparavant l’auteur des Actes les appelle tantôt « les frères ou les croyants », tantôt « les saints ou la Voie »…

Voilà donc comment les choses adviennent pour être chrétien et dans quel ordre :

1- On reçoit d’abord une initiation, qui consiste à lire les Evangiles pour connaître la vie et l’enseignement de Jésus Christ. On peut appeler cette étape la phase d’évangélisation, au terme de laquelle on « accepte* » ou non Jésus comme Seigneur et Sauveur.

2- Autrement dit, on se découvre et on se reconnaît pécheur, afin de se repentir de ses fautes anciennes, de son inconduite passée, pour recevoir le pardon de Dieu par Jésus Christ. C’est évidemment cette étape-là qu’il convient d’appeler « la conversion ». Une conversion du cœur, profonde et sincère. Nécessaire ô combien car, sans cette conversion, on continuerait à s’estimer non pécheur ou saint ; dans un cas, comme dans l’autre, on n’aurait pas besoin d’être sauvé et pardonné, et, par conséquent, le sacrifice de Jésus Christ sur la croix est vain et inutile…

3- Si nous nous reconnaissons pécheurs pardonnés, en revanche, nous sommes prêts à changer de vie : le vieil homme est mort, place au nouvel homme ! C’est la troisième étape qui consiste à être « plongé » dans la mort du Christ, pour ressusciter avec lui. Cette phase est celle du baptême, celle de notre « oui » public (c’est-à-dire en communauté ou en église), notre acceptation définitive qui nous permettra d’accueillir l’Esprit Saint, premier don fait aux disciples à la Pentecôte : il est toujours d’actualité.

Alors nous entrons dans l’ultime étape, la plus longue par ailleurs, qui nous conduira au « passage » de ce monde à Dieu où, comme le dit saint Paul, nous recevrons notre récompense qui est de vivre de la vie de Dieu ; la Vie éternelle consistant à connaître Dieu et celui qu’il a envoyé, Jésus Christ.

Oui, le chrétien est un coureur, un marcheur tendu de toutes ses forces vers cette rencontre éblouissante.

Mais avant cela il faut vivre en disciple, en témoin de Jésus :

« Si vous m’aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements ; (Jn 14,15) celui qui s’attache à mes commandements et qui les observe, celui-là m’aime (Jn 14,21)… Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure. Celui qui ne m’aime pas n’observe pas mes paroles ; (Jn 14, 23-24)

Et encore :

« Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là produira du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment… Ce qui glorifie mon Père, c’est que vous produisiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples… Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés : demeurez dans mon amour. Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour (Jn 15, 5 à 10)

Tout est dit : les disciples que Jésus désirent sont ceux qui ne se séparent pas de lui ; et, comme lui est lié au Père, eux aussi lui sont intimement liés.

Ce lien finit par opérer, inéluctablement, une transformation en nous : on ne fréquente pas le Seigneur de l’univers sans brûler intérieurement d’un feu inextinguible, un feu qui nous débarasse de toutes nos scories !

– b) Ne jugeons pas.

Relativisons cependant ce parcours idéal maintenant.

Car l’homme, et c’est pour cela que Jésus est venu, reste un pécheur invétéré, qui renâcle à se laisser transformer.

Souvent, en effet, après un premier élan prometteur, la chute guette, et on sommeille tranquillement, on ronronne ou, selon la formule d’Augustin (voir son sermon n° 63 que nous a envoyé Karim, en rubrique ‘messages et questions’) « on laisse dormir Christ en nous » au lieu de le tenir éveillé.

Nous le voyons bien avec les apôtres, combien ils sont différents et viennent d’horizons divers : pêcheurs pour les fils de Zébédée, Simon-Pierre et André son frère ; collecteur d’impôt pour Mathieu ; sans doute proche des Pharisiens Nathanaël ; Simon le zélote; parent pour Jacques, frère du Seigneur ; Thomas l’incrédule et, même, un persécuteur : Paul.

À certains Jésus trouve utile de leur changer de nom : Simon devient Céphas (Pierre), les « fils du tonnerre » pour Jean et Jacques ; ou qu’il change lui-même de nom, comme Paul.

Il accueille le repentir de Zachée, qui est pourtant venu le voir par curiosité ; il accepte la venue en cachette de Nicodème le pharisien et discute avec lui ; il fait la même chose avec la Samaritaine…

Et que dire de Marie-Madeleine ?

Enfin n’oublions pas « sa première disciple », sa mère, qui l’a langé, lavé, dorloté et lui a appris à marcher, lui le Verbe de Dieu !

Bref il y a de multiples manières de venir à Jésus, et nul n’a à juger des raisons de tel ou telle disciple : regardons-nous d’abord, en nous mettant face à lui.

Lui seul connaît notre cœur, et sonde nos reins.

L’important n’est pas notre origine, qui est plus ou moins pécheresse, ni notre parcours, plus ou moins tortueux, mais notre terme : le Christ.

Ne jugeons donc pas nos frères, s’ils viennent à Jésus de façon « peu catholique ».

Et s’ils sont de mauvais disciples, aujourd’hui, prions plutôt pour eux, de telle manière que demain ils soient meilleurs que nous.

Et s’ils craignent de témoigner devant les foules, avant de les condamner, encourageons les plutôt, par notre conduite humble mais ferme, à ne jamais renier Jésus Christ, et à lui rester fidèles en toute circonstance.

– c) Tous des témoins.

Nous somme tous appelés à être des saints, mais chacun à son rythme, chacun selon sa mesure : tel le sera, comme le bon larron, à la dernière minute ; tel autre, comme l’apôtre Jean, pendant une longue vie.

Quelques uns auront une conversion fulgurante, à la manière de Paul sur le chemin de Damas, mais ce ne sera pas celle de quelques autres qui feront trois pas en avant pour deux pas en arrière, comme Paul Verlaine.

Nous sommes tous appelés à témoigner de Jésus Christ : certains par leur prière au quotidien, comme Thérèse de l’Enfant Jésus, soutiendront leurs frères et sœurs en mission ; d’autres par leurs écrits, comme Augustin, Thomas d’Aquin ; d’autres enfin braveront vents et tempêtes, au propre et au figuré, comme Paul, Pierre, Tertullien, Félicité et Perpétue, Blandine et Laurent, François-Xavier ; plus près de nous, actuellement, tous nos frères et sœurs persécutés en Chine, en Inde, au Pakistan, en Iran, en Egypte ou au Soudan…

Ici même en France et dans les pays d’Europe, par différents moyens, les chrétiens sont empêchés de vivre leur foi en paix et en vérité ; et on ne leur permet plus de donner leur témoignage librement.

La vie du chrétien n’a jamais été une sinécure.

De sorte qu’il n’a pas d’autre choix que de s’attacher à son Seigneur pour tenir et faire face à toutes les adversités et les oppositions qu’il rencontrera inévitablement.

Sans parler des tentations suscitées par le Malin et des obstacles qu’il mettra sur sa route.

Mais, en même temps, tout disciple authentique sait que Jésus est avec lui, qu’il est avec tous ses fidèles témoins jusqu’à la fin des temps.

« EN CE MONDE VOUS FAITES L’EXPERIENCE DE L ’ADVERSITE, MAIS SOYEZ PLEINS D’ASSURANCE, J’AI VAINCU LE MONDE ! »

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* Il faut du reste plutôt parler d’« acceptation ».

* Signalons au passage que le mot « Kabyle » renvoie au verbe « accepter » : QBEL.

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