Les  Éditions du Cerf (avril 2014) (CF) viennent de publier “La mésentente. Dictionnaire des difficultés doctrinales du dialogue islamo-chrétien”. L’importance de cet ouvrage, et la qualité de son contenu, se mesurent en notant que les auteurs, les professeurs Marie-Thérèse Urvoy et son époux Dominique, forment une équipe de recherche en islamologie de très haut niveau scientifique, alliant des compétences complémentaires de type pluridisciplinaire, identifiables à travers leurs nombreux ouvrages et articles (LIRE)et (VOIR).

Parmi ces compétences, basées sur une profonde connaissance de l’arabe littéraire (qu’ils enseignent au niveau universitaire), acquise à la suite de très longs séjours dans les pays du Proche Orient (LIRE), on discerne plusieurs spécialités. La philologie avec une recherche sur l’établissement et les éditions des textes médiévaux, associée à la codicologie constituent un premier ensemble. Un deuxième ensemble comporte la philosophie et la littérature arabe, l’histoire de la pensée et de la civilisation arabes, jointes à  la contribution des chrétiens arabes d’Orient, et celle des chrétiens d’al-Andalus à la pensée philosophique, religieuse, scientifique. Le Coran (son action dans la formation de la certitude du croyant, son intervention dans la psychologie de ce croyant), les divers aspects de la mystique musulmane, soit populaire, soit intellectualiste, constituent le troisième niveau qui, s’appuyant, sur les deux précédents, et sur l’histoire de l’évolution du dialogue islamo-chrétien soigneusement suivie par les auteurs depuis ses débuts, assure la fiabilité des informations liées à chacune des entrées du dictionnaire.

Immédiatement après la sortie aux Éditions du Cerf de “La mésentente. Dictionnaire des difficultés doctrinales du dialogue islamo-chrétiens”, ses auteurs ont été interviewés par l’hebdomadaire Le Point (n° 2169, 10 avril 2014, p. 151-154), avec publication d’un extrait du chapitre “Objectivité”, l’une des 50 entrées cruciales du dictionnaire. Le titre de l’interview présente l’ouvrage des deux islamologues comme “le livre choc” pointant “les non-dits et les hypocrisies de ce dialogue”. L’article du journal a un autre intérêt : celui de donner la parole à deux “opposants” aux analyses des professeurs Marie-Thérèse et Dominique Urvoy, analyses qui montrent l’absence de bases saines dans l’orientation actuelle du dialogue officiellement reconnu par l’Église. Ces deux interventions ont le mérite d’illustrer certains aspects du dialogue actuel, précisément mis en cause dans le livre.

Le premier intervenant est le théologien suisse Hans Küng (VOIR) auteur de “L’islam” (Cerf, 2010) [RECENSION], à qui l’Église a retiré son habilitation à  enseigner la théologie et à  participer à la collation des grades universitaires catholiques. Ce théologien conteste la compétence des auteurs de “La mésentente” en matière de théologie chrétienne. Il leur reproche de méconnaître sa “théorie des changements de paradigme des religions”, qui “permet de comparer avec pertinence Jésus et Mahomet”, en “se fondant sur leur paradigme primitif”, et plus globalement l’exégèse historico-critique du Nouveau Testament.  Dans le passé, ayant reproché à  Benoît XVI d’être attaché à un “Jésus dogmatique” défini par le concile de Nicée, la référence du théologien étant le “Jésus de l’Histoire”, le jugement formulé sur “La mésentente” perd en crédibilité, malgré le titre plutôt “offensif” de son article: “Et si on arrêtait de dire des bêtises?”

Le second intervenant Éric Geoffroy (LIRE) enseigne l’islamologie à l’université de Strasbourg. Converti à l’islam, c’est un spécialiste du soufisme, et également l’un de ses représentants en France. Sous le titre informatif “Les différences dogmatiques sont secondaires”, sa critique est moins “offensive” que la précédente. Elle porte essentiellement sur la présentation du soufisme (“cheval de Troie de l’islamisme”) qu’ont fait les auteurs de “La mésentente” dans un ouvrage ancien (“Les mots de l’islam”, publié en 2004), le reste de la réponse publiée par “Le Point” étant une apologie du soufisme, en appui à la thèse du titre sur les différences dogmatiques. Dans ce cadre, il aurait été intéressant d’avoir un commentaire sur l’entrée “Ibn’ Arabi” moins concis que celui de la “profusion de sens” que ce mystique aurait tiré du Coran (“strates d’interprétation symbolique” dans le dictionnaire), et aussi sur les entrées “Massignon” et “Transcendance”. Comment expliquer cette discrétion sur des entrées du dictionnaire, directement liées à la spécialité de cet intervenant? S’agit-il d’une approbation implicite de leur contenu, dans l’impossibilité de découvrir des éléments vraiment contestables?

Le jugement que portent Marie-Thérèse et Dominique Urvoy sur l’orientation actuelle du dialogue islamo-chrétien a été l’objet de nombreuses critiques. Ces “procès” sont rarement exprimées sous une forme directe, comme par exemple celle des textes donnés par les deux liens [LIRE] et [AUSSI], ou même sous forme “semi-directe” avec au départ dissimulation du nom de la personne visée [VOIR]. Parce qu’il est difficile de contester des textes soumis au filtre de la rigueur scientifique, le plus souvent les “attaques” sont faites au plan général sans autre précision, ou sont non écrites. La calligraphie d’un vers d’al-Mutanabbî, l’un des plus grands poètes arabes (Xe Siècle), illustre la couverture de “La mésentente”. Sa traduction, “Et si te parviens mon blâme, venant d’un vicieux c’est là, pour moi, l’attestation que je suis vertueux” (en quatrième de couverture), pourrait être une allusion à cette situation (?).

Les auteurs de “La mésentente”, et les Éditions du Cerf, ont autorisé la reproduction de l’introduction du livre par le site “Notre-Dame de Kabylie”, ce dont ils sont vivement remerciés. Ce premier chapitre du livre a l’avantage de mettre en évidence l’absence de bases saines pour l’orientation actuelle du dialogue islamo-chrétien, mené sans se préoccuper de savoir si les partenaires chrétiens ont, de ce dialogue, la même conception que leurs interlocuteurs, et si l’on entend les mêmes choses, sous les mêmes mots (cf. par exemple les entrées “Amour de Dieu” et “Amour du prochain”).  A ce niveau cette introduction, qui est aussi une histoire du dialogue islamo-chrétien, devient une source d’informations très précieuses pour les lecteurs de “Notre-Dame de Kabylie”. Plus particulièrement, avec l’entrée “Abraham”, l’entrée “MÊME. Le même Dieu” du dictionnaire illustre l’ampleur des ambigüités du dialogue, qualifié de “bal masqué” par le père Jourdan (VOIR). Le texte de cette entrée se termine par le témoignage de Mohammed-Christophe Bilek (LIRE), fondateur du site et de l’association “Notre-Dame de Kabylie”. Ce témoignage débute par une question : “Si le Dieu du Coran est le même que celui des chrétiens, pourquoi moi, Mohammed, suis-je devenu Christophe ? La réponse donnée par ce converti met implicitement en cause certaines convictions des défenseurs d’un dialogue sans contraintes intellectuelles, spirituelles, ou doctrinales. C’est l’absence de telles contraintes qui a conduit aux dérives mentionnées dans les entrées “Prier ensemble” et “Théologie islamo-chrétienne”.

 

INTRODUCTION de “LA MESENTENTE”

 

Bien qu’elle soit entrée dans les mœurs, la formule “dialogue islamo-chrétien” n’en soulève pas moins par elle-même nombre de difficultés. Il convient de les passer en revue pour bien situer le présent dictionnaire.

Il y a d’abord les inquiétudes générales que peut susciter le fait même du dialogue interreligieux. En tête de son rapport à la Conférence des évêques de France lors de son Assemblée Plénière des 4-9 novembre 2008, à Lourdes – rapport intitulé ” Pourquoi l’Église catholique continue-t-elle de s’engager dans le dialogue interreligieux ? ” -, Mgr Santier reconnaît qu’

une telle réflexion s’impose d’autant plus que nombre de chrétiens, aujourd’hui, ne perçoivent plus – ou pas encore – l’importance de ce dialogue interreligieux, et, souvent même, manifestent à son endroit de véritables craintes. Celles-ci n’émanent pas seulement de courants traditionalistes ; elles sont aussi exprimées par des chrétiens qui n’appartiennent pas à de tels courants et qui, de bonne foi, soulignent les risques ou même les dangers du dialogue interreligieux pour l’Eglise catholique. […] Certains ont peur qu’une trop grande ouverture aux musulmans de France ou d’Europe ne se paie à moyen ou long terme […] au point que cette implantation puisse un jour menacer nos sociétés d’inspiration et de valeurs chrétiennes. Les craintes […] s’expliquent aussi par des formes de relativisme qui ont gagné du terrain depuis quelques décennies : à l’heure des brassages culturels et religieux, à l’âge de la mondialisation, certains redoutent que l’engagement de l’Eglise catholique dans le dialogue interreligieux, si bien intentionné soit-il, ne contribue à la confusion des esprits et n’entretienne finalement l’idée que “toutes les religions se valent”.

 

Mais il y a surtout les risques liés à la prépondérance dont jouit l’affectivité dans le domaine du dialogue. Certains l’ont poussée si loin qu’ils récusent toute considération doctrinale à l’intérieur même de la théologie, telle cette proclamation du Catholicos de Cilicie, Karekin II Sarkissian :

Nous ne pouvons pas éliminer dans un projet de théologie contemporaine du Moyen-Orient, le fait du dialogue islamo-chrétien. Si ce dialogue est construit sur les mêmes bases que celles des dialogues auxquels j’ai moi-même participé dans différentes parties du monde, je pense qu’il ne servira pas le Moyen-Orient. Car ce dialogue, pour nous, ne signifie pas l’échange de vue, de notions conceptuelles, d’idées théologiques tirées de tel passage de l’Evangile ou du Coran, de tel écrivain chrétien ou de tel écrivain musulman, mais ce dialogue est une tentative commune dans laquelle nous n’arriverons d’ailleurs jamais à nous connaître l’un l’autre. Ce dialogue a une dimension existentielle : nous vivons avec des musulmans, nous vivons avec nos frères. L’islam n’est pas une pensée ou une abstraction comme c’est souvent le cas en Occident. […] Il y a une affinité de vie humaine dans laquelle nous devons voir le dialogue vivant, qui nous enrichit tous (Pour une théologie contemporaine du Moyen-Orient, 1er Symposium Interdisciplinaire du Centre de Théologie pour le Moyen-Orient, Beyrouth-Jounieh, 1988, p. 13).

On objectera que ces paroles sont dues à un contexte particulier de situation de minoritaire. Mais les artisans européens du dialogue aiment se référer à de tels exemples venant des chrétiens orientaux, arguant que si eux, qui sont dans une situation difficile vis-à-vis de l’Islam, sont prêts à faire une démarche qu’ils jugent positive, à plus forte raison les chrétiens d’Occident, qui ne connaissent pas un même degré de tension, devraient-ils la faire. On exalte donc

cette convivialité que vivent nos frères chrétiens d’Orient avec les musulmans, malgré les moments difficiles, et qu’il nous faut inventer dans notre univers occidental individualiste (Christophe Roucou, “La montée de la peur de l’islam chez les Français et, parmi eux, les Catholiques”, Rencontre des évêques et délégués pour le dialogue avec l’islam en Europe, CCEE, Turin, 2 juin 2011, p. 5).

 

Plus généralement, en Occident, l’affectivité offusque souvent la lucidité sur les aspects doctrinaux. D’où la nécessité de rappeler les repères essentiels.

Le mot “dialogue” signifie échange, sinon tout à fait à égalité, du moins avec pour chaque intervenant le respect de la parole adverse. Ce respect implique en principe que le déroulement du discours de chacun n’est pas entièrement prédéterminé mais dépend des occurrences des interventions de l’interlocuteur. Malheureusement la réalisation effective dans des échanges ponctuels en est assez rare et nous sommes, dans l’immense majorité des cas, en présence de discours unilatéraux. Mehrézia Labidi-Maiza témoigne de ce que, lorsque la question de l’islam est devenu un sujet de débat public et qu’on l’a invitée dans des rencontres islamo-chrétiennes,

ce n’était pas vraiment un dialogue mais plutôt des séances de questions/réponses. […] Mais à force d’être sollicités pour parler de divers sujets, les intervenants musulmans risquent d’être transformés “en machines à réponses” ; pire, de croire qu’ils ont réponse à tout ! Le dialogue manquait de ce fait une caractéristique importante : la réciprocité de l’écoute et du questionnement de l’autre (Communication à la réunion de travail du 4 juin 2008 du Conseil pour les relations interreligieuses).

 

Cela ne signifie pas que les discours unilatéraux – qui restent, malgré tout, les plus nombreux – soient inutilisables pour notre présent travail, mais nous devrons alors reconstituer un échange général, c’est à dire que tout discours unilatéral (qu’il soit descriptif, polémique, apologétique, diplomatique) ne nous concernera ici que dans la mise en relation avec un discours de “l’autre”. Nous n’allons pas examiner des systèmes idéologiques “en soi”, ou même mis en parallèle [1], mais nous attacher à mettre au jour les tensions qui ont été suscitées par les confrontations effectives, même si elles ont eu lieu “à distance”.

Le mot “dialogue” renvoie d’autre part à un entretien entre deux (ou plusieurs) personnes. De fait, depuis ses premières manifestations au IXe siècle et jusqu’à récemment, la discussion pacifique entre chrétiens et musulmans n’a jamais impliqué que des individus: soit seulement les deux protagonistes, soit tout au plus les membres de leurs entourages respectifs. Même la transcription de l’échange une fois diffusée, on restait dans le cadre des réactions personnelles, aucune collectivité n’étant impliquée comme telle, quel que soit le statut des intervenants: s’il s’agissait d’un dignitaire musulman, les éventuelles marques de compréhension de sa part n’engageaient que lui et ne pouvaient influer sur ses obligations légales de défense et de propagation de l’islam; s’il s’agissait d’un dignitaire chrétien, il pouvait énoncer des formules accommodantes au sujet de l’islam, mais dans un but strictement humaniste, sans portée disciplinaire.

Or la situation a changé depuis quelques décennies avec l’accent mis délibérément sur la perspective collective, accent concrétisé du côté chrétien par la mise en place, au sein du Conseil Œcuménique des Eglises (World Council of Churches) d’un Office pour les Relations Interreligieuses, et plus précisément du côté catholique la création en 1964 d’un Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux. Il y a eu aussi, d’une façon générale, l’instauration d’une Conférence Mondiale des Religions pour la Paix (CMRP), dont la première s’est tenue à Kyoto en 1970, la seconde à Louvain en 1974, la troisième à New-York en 1979, etc. Puis on a focalisé sur les deux religions islam et christianisme, d’abord avec des colloques publics (Cordoue [1974], Tunis [1974], Tripoli [1976], à nouveau Cordoue [1977], etc.), mais surtout avec la mise en place de formules plus ou moins institutionnalisées: le Secrétariat (de l’Eglise de France) pour la rencontre avec les musulmans (préparé dès 1971 et officialisé en 1973), devenu ensuite le Secrétariat pour les Relations avec l’Islam (S.R.I.) puis, avec le même sigle, le Service des Relations avec l’Islam; la revue Islamochristiana [2], publiée annuellement à partir de 1975 par l’Institut Pontifical d’Etudes Arabes et d’Islamologie (Pontificio Istituto di Studi Arabi e d’Islamistica, P.I.S.A.I.); le Groupe de Recherche Islamo-Chrétien (G.R.I.C.) fondé en 1977, et qui se réunit en principe annuellement; l’Association pour le Dialogue Islamo-Chrétien (A.D.I.C., 1989, devenu en 1995 l’Association pour le Dialogue International islamo-chrétien et les Rencontres interreligieuses); le Groupe d’Amitié Islamo-Chrétienne (d’abord A.M.I.C., 1992, puis G.A.I.C., à partir de 1993); etc. En pays arabe, signalons notamment l’action des Paulistes de Ḥarīṣā, au Liban, au Centre des Recherches pour le Dialogue Christiano-Islamique (Markaz al-abḥāt fī-l-ḥiwār al-masīḥī al-islāmī, C.E.R.D.I.C.) qui publie la collection “Christianisme et islam dans le dialogue et la coopération” (Al-masīḥiyya wa-l-islām fī-l-ḥiwār wal-taʽāwun).

Aussi cette institutionnalisation crée-t-elle une certaine ambiguïté: s’il est clair que ni l’islam comme tel ni le christianisme comme tel ne peuvent être considérés comme des personnes, ce qui exclut donc la confrontation globale, qu’en est-il des instances intermédiaires ? La synthèse élaborée par un groupe est-elle une étape que tout un chacun doit admettre s’il veut participer au jeu général du dialogue ou n’est-elle pas plutôt une simple proposition toujours révisable ? La prise de position d’une instance déléguée engage-t-elle automatiquement l’instance supérieure délégatrice ? Le fonctionnaire spécialisé qui a écrit le discours d’une haute autorité, elle-même non spécialiste de la matière, peut-il ensuite prétendre qu’il ne fait que suivre l’enseignement de cette autorité ?

Cette ambiguïté est accentuée par le fait que l’homme est souvent enclin à “majorer son rôle” et qu’un intervenant doté d’un titre est facilement tenté de se croire également investi d’une autorité, tant vis à vis de l’interlocuteur de l’autre religion qu’il invite à s’adresser à lui de façon privilégiée, que vis à vis de ses propres coreligionnaires auxquels il imposerait volontiers son programme d’action. Toutefois les problèmes humains qui en résultent – pour réels et pénibles qu’ils soient – ne concernent pas notre propos. En revanche la nouvelle situation implique un beaucoup plus grand retentissement des confrontations que quand elles restent individuelles. On ne peut donc fermer les yeux sur leurs conséquences.

Les deux difficultés que nous venons d’évoquer confluent dans une troisième qui est celle de l’inégalité de chaque partie dans l’implication au dialogue. Du côté chrétien le niveau des relations individuelles est conservé mais est doublé par un grand effort de vulgarisation: revues, rencontres, colloques,…. Du côté musulman, en revanche, à l’exception de la fondation jordanienne Āl al-Bayt, on a eu jusqu’à récemment essentiellement des prises de position individuelles de la part d’intellectuels, dont la plupart, en outre, ont quitté leur pays natal et se sont fixés en Occident. En 1997, Etienne Renaud m.afr., alors recteur du P.I.S.A.I., manifeste l’espoir d’un changement fécond:

Pendant longtemps, le dialogue islamo-chrétien est apparu comme une entreprise unilatérale: l’invitation à participer à des rencontres ou à réfléchir sur le sens de ces rencontres était presque uniquement le fait de la partie chrétienne. Or voilà que ces dernières années un certain nombre d’initiatives musulmanes ont vu le jour et que des intellectuels musulmans se sont exprimés, parfois de façon substantielle, sur le dialogue interreligieux. Il y a exactement dix ans, quand la revue Islamochristiana a voulu faire le point à propos des perspectives islamiques sur le dialogue, on pouvait lire: “Sont ici rassemblés les rares articles qui au cours de ces deux dernières années ont traité plus ou moins du dialogue islamo-chrétien dans les diverses revues officielles des pays arabes et musulmans” [An Islamic Perspective on Dialogue (Introduction and translation by Penelope Johnstone), IC 13 (1987), p. 131-171. Soulignons également que, outre leur caractère sporadique, les textes en questions sont essentiellement marqués par les accusations d’hypocrisie à l’encontre des acteurs chrétiens]. Dix ans plus tard, un tel constat n’est plus de mise et il serait difficile de faire la moisson de tout ce qui a été écrit et publié sur la question au cours des dernières années (IC 23, 1997, p. 111).

 

Toutefois cet espoir est tempéré par la suite. Dans le corps de l’article E. Renaud relève notamment chez les intellectuels musulmans une grande gène due au sentiment d’ “absence de parité”: ce sont – disent-ils – presque toujours les Eglises chrétiennes qui “défini[ssent] les sujets et les champs du dialogue”; les acteurs chrétiens sont des “professionnels du dialogue” dont “il [est] difficile de croire qu’ils [veulent] le dialogue uniquement pour promouvoir la compréhension mutuelle et la communication”. Aussi E. Renaud reconnaît-il en conclusion:

Malheureusement, force nous est de constater qu’il s’agit encore d’individus, de voix isolées qui n’ont pas le soutien de la communauté et même sont souvent contraints d’avancer à contre-courant. Cet isolement, voire cet ostracisme sont très dommageables. Cela pose une double question: d’une part sur la représentativité des artisans du dialogue et, d’autre part, sur la participation qu’y prennent les instances officielles. Jusqu’à présent, l’engagement institutionnel au plan du dialogue est resté très limité (IC 23, 1997, p. 121-122 et 135).

 
Références

[1] Pour la confrontation terme à terme, on nous permettra de renvoyer à notre Abécédaire du christianisme et de l’islam. Précis de notions théologiques comparées (Paris, Editions de Paris, 2008).

[2] Cette revue, qui donne notamment un rapport annuel sur toute manifestation pouvant rentrer dans le cadre du dialogue, sera une de nos principales sources. Elle sera indiquée sous le sigle IC.

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