Le maréchal Al-Sisi qui en est à son deuxième mandat est non fréquentable selon certains et devrait être remercié pour sa modération et sa sagesse selon d’autres. D’après l’article de ce dernier média, la guerre est ouverte entre lui et le cheikh d’al-Azhar, la sommité du monde sunnite musulman lequel, pour reprendre la formule coranique (Al-`Imrân 110), édicte “ce qui est licite et et ce qui ne l’est pas”. Et c’est donc lui qui devrait soutenir le président égyptien dans les réformes souhaitées pour la religion islamique, mais qui n’obtempère point. Guerre donc interne et plus ou moins silencieuse entre les deux hommes musulmans les plus en vue dans le pays des Pharaons.

C’est ce qui se dit : Al Sisi avait tenu des propos très clairs, étonnants par ailleurs, bien avant Mohamed ben Salmane, sur la nécessité de réformes, en appelant “à une « révolution » dans l’Islam et
à la remise en cause d’interprétations du Coran qui s’étaient enracinées au cours des siècles et qui avaient donné naissance à des organisations telles que Al Qaeda et l’Etat islamique – transformant l’Islam en un vecteur de violence et de destruction et dressant le reste du monde contre cette religion.”
Mais tout le monde avait tendu l’oreille en vain, pour écouter une réponse du chef d’Al Azhar, le premier concerné. On apprend dans cet article qu’il aurait répondu par la voix de ses Sages qu’il n’y avait rien à changer ou amender dans la Charia, laquelle était excellente et convenait à toutes les situations et à toutes les époques.

Comme beaucoup d’autres, j’ai cru que le président égyptien s’était soumis à la force d’inertie de l’institution “azharie” et de son chef qui avait été reçu pourtant au Vatican et par l’Union Européenne à Strasbourg. On apprend donc que Al Sissi a refusé de s’incliner. Qu’il a demandé au Cheikh, non seulement, de déclarer que l’Etat islamique, Ansar Al Makdesh dans le Sinaï et la Confrérie des Frères Musulmans, étaient des organisations apostates, et de publier une fatwa déclarant apostat tout musulman et toute organisation musulmane se livrant au terrorisme. Mais bien évidemment Ahmed el Tayeb a refusé, “au motif qu’on ne peut qualifier d’apostat une personne qui récite la Chahada – la profession de foi islamique – affirmant donc sa croyance en Allah et ses prophètes. Il a ajouté qu’Al Azhar s’opposait à toute tentative de stigmatiser un musulman en le qualifiant d’apostat tant qu’il n’avait pas rejeté les principes de l’Islam.” La brouille s’est installé entre le responsable politique et le responsable religieux, séparant du coup les deux pouvoirs ce qui est plutôt rare en islam. D’un côté la mouvance islamiste, qui va des “Frères musulmans” et autres salafistes jusqu’aux fondamentalistes non violents mais qui campent sur leurs positions et leurs acquis; de l’autre la mouvance “civile et militaire” que les Coptes, représentant 15% de la population du pays (?), regardent comme leurs meilleurs alliés.

Et voilà que, tout dernièrement, le président égyptien a eu des propos très forts dans une réunion avec les jeunes, en répondant à une question d’un réfugié afghan, qui mérite d’être citée dans sa traduction par Hélios pour le site Dreuz :

Nous avons l’obligation de nous critiquer nous-mêmes: Est-ce que nous protégeons nos propres États ? Les leaders des États dont je parle (les États musulmans) n’ont-ils pas l’obligation d’être plus équitables, plus respectueux et plus attentionnés à l’égard de leur population ? Et n’ont-ils pas le devoir de faire des concessions, de se mettre à table et régler leurs problèmes, que ce soit en Afghanistan, en Syrie, en Irak ou en Libye ? Pourquoi ne le font-ils pas ? Tu en veux au chef d’États européens, que ce soit en Angleterre, en Allemagne, en Italie ou ailleurs, qui ferment leurs frontières pour protéger le fruit de longues années de labeur et d’effort consacrés à édifier une société évoluée ! Nous demandons qu’ils nous ouvrent leurs portes, alors que nous voulons imposer notre culture, bien qu’elle soit très éloignée de la leur, en particulier dans le domaine du travail et de l’effort. Notre éthique du travail est différente de la leur, ils ont une éthique rigoureuse, ils ne s’accordent pas de passe-droits ou de laisser-aller dans le domaine du travail ou de la formation […].Tu veux émigrer avec ta culture, qui pour toi ne peut être remise en question? Tu veux l’imposer en prétextant qu’il s’agit d’un droit humain? Non! Et à propos si tu vas dans un pays qui accepte de t’accueillir, tu dois respecter, mais d’un respect absolu, ses lois, ses coutumes, ses traditions et sa culture. […] Tu veux qu’ils t’ouvrent la porte, pour que tu entres et qu’après cela tu leur crées des problèmes? Non ! Moi je ne suis pas en train de les défendre, Non par Allah ! Je juge simplement d’après ce que je vois et ce que je comprends des événements qui se déroulent à ce sujet. Ce n’est pas possible, cela fait plus de quarante ans que vous vous entre-tuez [en Afghanistan] et vous voulez que je vous laisse entrer? Non ! Vous voulez résoudre vos problèmes ? Résolvez-les dans vos pays. Voilà pourquoi je dis aux égyptiens: « prenez soin de votre pays ! » Tel est mon message. Au lieu de demander aux autres de nous ouvrir leurs portes, faisons en sorte que notre terre nous suffise, et en fait elle nous suffit. En Égypte il y a suffisamment de place pour tous les égyptiens; nous devons éviter d’entrer en lutte les uns contre les autres et ainsi de tout démolir, faute de quoi les jeunes choisiront de partir vivre ailleurs… Non c’est inacceptable ! Nous devons faire face résolument à nos problèmes, mettre fin à l’effusion de sang dans nos pays, faire preuve de lucidité et d’intégrité dans nos interactions, favoriser le dialogue et le débat. Je ne suis pas contre l’émigration, ceux qui nous ouvrent la porte je leur dit Merci votre geste est apprécié. En ce qui concerne ceux qui nous ferment la porte, je dis qu’en cela nous n’avons de reproches à adresser qu’à nous-mêmes.”