En devenant chrétien on peut enfin s’interroger librement sur les dogmes islamiques. Il en est ainsi du nom du vin. En kabyle et en arabe dialectal algérien on l’appelle « chrab » (littéralement : boisson). Pourquoi ce nom indistinct, alors qu’avant l’arrivée de l’islam le vin était une boisson connue, fabriquée et consommée sur place, en Afrique du nord ? Saint Augustin en témoigne dans les confessions.

Bien sûr le vin joue un rôle, certes accessoire, dans une conversion d’un(e) musulman(e) : boire du vin, c’est une infraction au dogme, comme manger du porc. C’est bien connu. Car la religion héritée du père musulman, qu’est l’islam, avait déclaré illicite le vin, du vivant même de Mahomet qui en avait sûrement consommé avant de se déclarer “prophète”, sous le vocable, non de « chrab », mais de « lekhmar ».

En conséquence, le converti découvre avec intérêt l’élévation du vin à un rang sacré avec l’EUCHARISTIE. Et il se dit que ce n’est pas un hasard si les grands pays producteurs vinicoles sont tous en Europe, de tradition chrétienne, latine ou orthodoxe. En Occident le mot utilisé est plus noble et n’a rien de péjoratif. La langue classique, le latin, l’ayant appelé vinum, ce nom s’est transmis forcément à la France, et, sous une forme quasiment identique (vino), à l’Espagne et l’Italie. Et en anglais, wine, semblerait venir du latin aussi. Tout comme le portugais qui le nomme vinho.

La plupart des langues européennes que nous avons consultées (14) ne divergent pas tellement sur la racine du nom du vin [VN(H)]. Toutefois le grec a son mot propre. Et le maltais également se distingue sur ce point. Mais le cas de cette langue cantonnée sur l’ile de Malte est intéressant. Son vocabulaire a intégré beaucoup de termes orientaux, pour ne pas dire arabes, car il faut y inclure les influences du phénicien, rameau occidental de l’araméen. En effet beaucoup d’historiens éludent l’influence phénicienne, puis punique, langues cousines mais bien antérieures à l’arrivée de l’arabe dans ces régions sud de la Méditerranée. Or cette influence a commencé au 12ème siècle avant J.C., et s’est maintenu jusqu’au temps de saint Augustin dont les contemporains, selon son témoignage, utilisaient le punique plus que le latin en Tunisie actuelle et en Numidie. Autrement dit, en durée totale, il y a quelques 15 siècles, ce qui n’est pas négligeable.

Le maltais utilise donc aujourd’hui deux termes orientaux pour le vin : inbid et aħmar (akhmar) alors que dans le Maghreb ils sont très peu usités. Si on se fie au dictionnaire arabe du Liban[1] le mot(i)nbid, signifie d’abord « une boisson spiritueuse préparée avec des dattes ou des raisins secs, etc. ». Mais il signifie aussi le vin[2].

Le Coran quant à lui, utilise seulement le mot lekhmar. À peine une dizaine de fois du reste ; par exemple dans ce dernier passage (47 :15) où le mot est cité, au paradis d’Allah, quand il deviendra licite à boire : « Voici la description du Paradis qui a été promis aux pieux : il y aura là des ruisseaux d’une eau jamais malodorante, et des ruisseaux d’un lait au goût inaltérable, et des ruisseaux d’un vin délicieux à boire, ainsi que des ruisseaux d’un miel purifié… »

Ce passage nous informe par ailleurs que le nom du vin n’est pas une invention du Coran, il existait bien avant sa rédaction. Nous pouvons en trouver une autre preuve dans le syriaque qui est identique, kḥamra (ܚܰܡܪܳܐ), et qui est antérieur à l’arabe.

Donc les ancêtres des musulmans actuels, notamment ceux du Proche Orient, consommaient du vin avant qu’il ne soit interdit par l’islam. Bien évidemment. Et on a déjà dit que Mahomet en a bu. Peut-être pas tant dans le désert d’Arabie, où cette boisson ne pouvait être produite, mais plus au nord, en Jordanie, en Syrie ou en Palestine. Elle existait depuis les Patriarches, apparaissant avec le Déluge, comme nous en informe la Bible. Avant que de recevoir le nom d’Abraham, celui-ci en préfiguration du sacrement du Christ, rencontre dans une scène très biblique[3] le prêtre par excellence : « Melchisédech, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut.  Il le bénit en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a créé le ciel et la terre… »

Quand on récapitule les langues asiatiques et quelques autres, sur un tableau comme ci-dessous, nous constatons  que sur 20, il y en a 10 qui utilisent la racine [Sh-RB], qui signifie « boire » en arabe ; et 6 qui utilisent la racine usitée dans les langues européennes. Sans chercher à être exhaustif, on est surpris par l’aire linguistique de celles-ci (voir le PDF) :

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En conclusion l’interdiction coranique n’a pas imposé le terme arabe akhmar dans le monde arabo-musulman, mais elle a permis  d’élever cette signification à la première place. Et de quasiment ignorer les autres significations.  Nous trouvons, en effet, dans le vocabulaire arabe quand on consulte le dictionnaire à KHMR (خمر)[4] :

  • Couvrir, cacher quelque chose,
  • Enivrer quelqu’un, vin, toute boisson fermentée,
  • Couvrir (son visage) d’un voile, voile, se voiler, etc.
  • Faire lever (la pâte en y mettant du levain), ferment, fermenter, lever, se mêler (à quelque chose), levain etc.
  • Pénétrer dans toutes ses parties, faire un complot…

Nous y voilà donc : « couvrir, cacher quelque chose, enivrer »… Nous sommes enfin sur la piste de quelqu’un qui n’est pas le moindre parmi les Patriarches bibliques, Noé !

Nous poursuivrons cette enquête dans un second texte avec l’origine de la racine utilisée par les langues européennes.

[1] Dar El-Mashreq Publishers P.O.B. 946, Beirut, Lebanon.

[2] Un ami libanais m’a dit qu’il se pourrait bien qu’il vienne du mot « Bordeaux »…

[3] Voir Genèse 14 :18

[4] Voir ibidem.