« Berbères » et « Kabyles »…étranges étrangers sur leur sol. Eh oui ! Dans leur propre pays on NE leur demande PAS leurs noms, on les affuble de noms étrangers, comme Arabes aujourd’hui. Des noms, ou plutôt, des lieux-communs qui ont la vie dure. Mais à qui la faute sinon aux concernés ? Exemple : dans une vidéo récente (1), du 21/08/2023, Idriss Aberkane, d’origine algérienne (et berbère (2) par son nom), a donné à ses téléspectateurs et autres auditeurs deux définitions étymologiques (3).  Deux noms ou mots relatives aux deux identités algériennes de berbère et kabyle. Ce sont deux définitions que les Algériens et/ou les Kabyles, n’ont pas cherché à creuser.

Les concernés se contentent donc de les reproduire telles qu’elles ont été expliquées par les Européens, en l’occurrence les Français. Avec les outils linguistiques qu’ils avaient à leur disposition. Il ne s’agit pas d’accuser qui que ce soit de malveillance, mais d’inciter à faire de nouvelles recherches pour mieux étudier le sujet.

1–  Kabyles en premier lieu, est expliqué par M. Aberkane, comme venant de l’arabe « les tribus ». Nous renvoyons à notre article du 30/10/2019 (date d’actualisation) :

  L’origine du nom des Kabyles

 

2–  Berbères vient d’un mot grec, dit-il, dont la signification grecque est une insulte : « barbarus», c’est-à-dire le barbare. Le mot « barbare » a été utilisé par les Grecs en premier en Europe, avant qu’il ne soit repris par les Latins. Mais contrairement à ce qu’on peut lire sur son origine, elle n’est pas grecque. C’est un emprunt grec à l’égyptien ancien.

  • Mais voyons cela de plus près. Le petit Robert nous indique que le dictionnaire universel De Furetière (1690) donne cette définition à « barbare(s) » : « Estranger qui est d’un pays fort éloigné, sauvage, mal poli, cruel, & qui a des mœurs forts différentes des nostres. Rome a été plusieurs fois pillée par les Barbares. On n’est plus si sujet aux incursions des Barbares. Les Sauvages de l’Amérique sont fort barbares. Les Grecs appelloient Barbares, tous ceux qui n’étoient pas de leur pays ; & ce mot ne signifie en leur Langue qu’estranger. »
  • Retenons qu’il n’est pas péjoratif, ou insultant, mais qu’il signifie plutôt exotique, extérieur, allogène ou exogène, bref du « dehors », comme nous le verrons largement ci-après par les exemples historiques. Sauf qu’on ne peut être étranger dans son propre pays : soit on est « berra » (4) soit on ne l’est pas !
  • Et nous voyons que dans le Wikipédia l’idée d’extériorité demeure une référence : [selon Hérodote : « Les Égyptiens appellent barbares tous ceux qui ne parlent pas leur langue »]. Voici précisément le passage :< Βαρβάρους δὲ πάντας οἱ Αἰγύπτιοι καλέουσι τοὺς μὴ σφίσι ὁμογλώσσους.> Voir dans le livre II – Euterpe – à la fin du chapitre CLVIII (158).

 

3–  Aux frontières sud de l’Égypte, les Berbères… Il existe au sud de l’Égypte une confirmation à cette dénomination : ce sont les Barabras, une population très ancienne, faisant partie du monde nubien ou soudanais.

  • « Les Barabras, voisins et, culturellement, proches parents des Égyptiens bien que leurs caractères physiques les rapprochent des populations noires …». Tels les Chaykyé, Dongola, Mahas, Sukkot Hadjar, Barabras, situés en Égypte du sud, après         Assouan (24° de latitude Nord)…

Barabra est un ancien terme ethnographique désignant les peuples nubiens du nord du Soudan et du sud de l’Égypte. Le mot est diversement dérivé de Berberi (c’est-à-dire Berbères), ou décrit comme identique à Barabara, figurant dans l’inscription sur une porte de Thoutmosis Ier, comme le nom de l’une des 113 tribus conquises par lui. Dans une inscription ultérieure de Ramsès II à Karnak (1300 avant JC), Beraberata est donné comme nom d’un peuple conquis du sud. Il est ainsi suggéré que Barabra est un véritable nom ethnique, confondu plus tard avec le grec et le romain barbarus, et repris dans son sens propre après la conquête musulmane. Une tribu vivant sur les rives du Nil entre Wadi Halfa et Assouan s’appelle Barabra. Le terme est désormais rejeté par les Nubiens, car il est compris comme un terme péjoratif utilisé comme une insulte en référence à la couleur de la peau, au manque d’intelligence et à la brutalité.

( Barābira ) est le pluriel de Barbarī et désigne en Égypte les Nubiens ou, comme on les appelle maintenant habituellement, les Berbères. Leur demeure est la haute vallée du Nil, du quartier d’Assouan à Dongola. Le visiteur d’une partie quelconque de ce district est frappé par le petit nombre d’hommes rencontrés ; on ne voit que des femmes, des enfants et des vieillards. La zone fertile n’est pas grande mais la population est nombreuse, aussi les hommes partent en Égypte où ils trouvent du travail comme domestiques, cuisiniers, cochers, portiers, etc.

Ce fragment intéressant en lui-même, mais offrant des formes peu pittoresques, j’ai cru devoir y ajouter un groupe de jeunes personnages appelés Goubli ou d’au-delà, ou Barabra, qui est le nom générique de tous les peuples de l’Egypte qui sont d’au-delà des cataractes

  • Chantre Ernesthttps://www.livre-rare-book.com/book/23691427/34801    Esquisse ethnographique et anthropométrique. Le mot Barabra, pluriel de Berberi, est une dénomination désormais hors d’usage pour plusieurs groupes ethniques nubiens de la vallée du Nil (actuel Soudan).
  • Barabra, un article dans Wikipédia (traduit de l’anglais) Lire

Barabra est un terme désignant les peuples nubiens du nord du Soudan et du sud de l’Égypte. Le mot est à l’origine dérivé du mot grec bárbaros (c’est-à-dire les Berbères) qui a été déformé en « barbarus » en latin. Il était à l’origine utilisé par les Grecs pour décrire tous les étrangers (non grecs). De plus, le mot barabra est utilisé en arabe au pluriel « برابرة », d’où le « a » ajouté entre le « r » et le « b » dans « Barabra ». Lorsque les habitants l’utilisent au singulier pour désigner un individu, ils utilisent le mot « بربري » (en translittération anglaise « barbari »), une forme arabisée du mot latin « barbarus » ; la lettre finale « ي » en arabe ou « i » en translittération anglaise a pour effet de transformer le mot en adjectif, comme « مصر » (Masr) fait référence à l’Égypte en tant que pays, tandis qu’on dit « مصري » (Masri) pour désigner un individu égyptien.

Le mot barbarus était à l’origine utilisé pour décrire de nombreuses autres nations étrangères non grecques, notamment les anciens Égyptiens, les Perses, les Mèdes et les Phéniciens, tandis que le terme « égyptiote » était utilisé pour décrire les Grecs vivant en Égypte.

Conclusion :

Nous concluons par l’historien français Charles-André Julien, qui avait affirmé dans l’histoire de l’Afrique du nord, aux éditions Payot en 1956 (2ème édition) :

« Les Berbères ne se donnèrent pas eux-mêmes ce nom. Ils le reçurent, sans vouloir s’en servir, des Romains qui les jugeaient étrangers à leur civilisation et les qualifiaient de Barbares (Barbari). Les Arabes en firent le mot Brâber, berâber (au singulier Berber, berbri). Les Grecs appliquèrent le nom d’une peuplade qui vivait entre le golfe des Syrtes et le Nil, les Lebou, à l’ensemble des indigènes de l’Afrique du Nord ou Libyens. Les Carthaginois et les Hébreux employèrent une désignation analogue. Les Romains étendirent, de même, à tous les habitants de la Berbérie, le nom de Maures, réservé d’abord aux populations du Maroc septentrional.

Aujourd’hui, on ignore généralement que le Maroc, l’Algérie et la Tunisie sont peuplés de Berbères, que l’on qualifie audacieusement d’Arabes. Quant aux indigènes, ils se désignèrent souvent du nom d’Amazigh (Tamazight au féminin, Imazighen au pluriel) qui signifiait les « hommes libres », puis les « nobles », et s’appliqua à plusieurs tribus dés avant l’occupation romaine.

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(1) https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=_mUOHNY_y6g&fbclid=IwAR1dTC8-Liya-caEl6faz_q42UoNcrUueDyCi4gILvOnK-GTDZ3OvnstCn8

(2) Le nom de famille Aberkane, signifie « le noir » en berbère.

(3) De la minute \59:00 à la minute 1:01:17 /,

(4) Berra signifie en effet « dehors » dans plusieurs langues du bassin méditerranéen et de l’Asie du Proche et Moyen Orient.