C’est un article qui fera date. Merci à la Dépêche de Kabylie

Mustapha Krim, président de l’Eglise protestante d’Algérie à La Dépêche de Kabylie

« Nous ne voulons pas de religion d’Etat »

Mustapha Krim est président de l’Eglise protestante d’Algérie visée récemment par un arrêté d’interdiction pris par le wali de la wilaya de Bejaia. En plus de cette contingence, l’interview déroule le sombre quotidien fait aux protestants d’Algérie et à tous les cultes minoritaires. Des questions que les artisans du chantier en cours de réformes tous azimut ne peuvent qu’utilement écouter

Entretien réalisé par Boualem Slimani et Mohamed Bessa :

La Dépêche de Kabylie : Les autorités de la wilaya de Béjaïa viennent d’ordonner, conformément à un arrêté du wali datant du 08 mai courant, la fermeture définitive de toutes les églises protestantes de la wilaya. Que vous reproche-t-on

Mustapha Krim : Je dirai, à ma connaissance, rien de particulier. Ils veulent fermer d’une manière définitive nos communautés ! C’est ce que stipule l’arrêté. Pour quelle raison ? On nous dit que nous ne sommes pas en règle avec le décret de 06/03 de 2006. Donc, pour nous, c’est du n’importe quoi dans la mesure où ce décret, dès qu’il est paru, nous y sommes conformés. Nous avons cherché à savoir et finalement nous nous rendons compte que c’est de la diversion, on nous fait tourner en rond. On nous oriente vers le ministère des Affaires religieuses qui, lui, nous oriente vers le ministère de l’Intérieur et, ce dernier, ne nous reçoit pas. En avril de l’an dernier, nous y avons rencontré un fonctionnaire à qui nous avons montré nos documents, et il nous a dit : « je ne vois rien d’irrégulier là-dedans, faites votre Assemblée générale, vous me ramenez le PV de l’AG ordinaire et puis je vous mettrais des cachets pour les quatre prochaines années ». Deux mois après, nous étions repassés, après notre Assemblée générale, et curieusement ce fonctionnaire avait démissionné et plus personne ne voulait nous recevoir. On nous a demandé tout simplement d’envoyer notre PV par la poste, parce qu’ils ne veulent pas nous donner de reçu. J’estime que c’est vraiment se moquer de la République, c’est-à-dire que, quand on n’est pas capable de délivrer un accusé de réception pour un document, ça veut dire que l’on ne respecte pas soi-même la loi.

Dans le communiqué que l’EPA a rendu public, le 22 mai dernier, vous avez parlé d’ « acharnement sur les églises protestantes en Algérie ». Qu’entendez-vous par cela ?

L’acharnement est une réalité. A chaque fois que nous bougeons le petit doigt, on est derrière nous. Même au niveau de la surveillance. Par exemple, on a toujours des agents de sécurité dans le cadre de nos cultes. Bon, nous n’avons rien contre cela dans la mesure où s’ils sont là pour entendre la Parole tant mieux, mais nous savons très bien que derrière notre dos, il y a un tas de rapports qui se font. Alors, à chaque fois que nous avons un invité, pour peu qu’il soit un invité étranger, d’Europe ou d’Egypte, il faut qu’on se charge à leur donner toutes les précisions sur son identité…etc. Finalement, après une concertation dans notre conseil, nous nous sommes rendu compte que la plupart des gens pour lesquels nous avons transmis des renseignements précis, font l’objet d’un refus systématique de visas d’entrée en Algérie. Donc, apparemment, on cherche à nous isoler de nos confrères et des protestants d’outre-mer.



Selon les autorités du pays, l’ordonnance 06/03 de 2006 a été conçue pour règlementer l’exercice du culte autre que musulman. Après six ans de sa promulgation, vous attendez toujours la régularisation de votre situation. Pourquoi ce retard ?


Bon, pour ce qui est de l’origine de cette loi de 2006, en fait c’est une loi qui a été mise au point en Egypte. C’est une loi « made in Egypte » qui a été établie par rapport aux problèmes qui existent au Moyen Orient. Là-bas, ce n’est pas une petite minorité de chrétiens mais c’est le quart de la population. Donc, ils ont leurs propres problèmes. Là-bas ,les églises sont historiques avec leurs propres traditions. Chez nous, il y a des églises dynamiques, protestantes en propre. Donc, les autorités algériennes travaillent en conformité avec les autres pays Arabes. Ils nous ont ramené cela chez nous parce que , soit disant, il y avait un vide juridique par rapport aux chrétiens algériens. Ce qui est d’une certaine façon vrai : par exemple, il y a un Code de la famille pour les musulmans, et il n’y a rien de prévu pour les chrétiens. En tant que chrétiens, nous sommes quand même libres de donner les prénoms que nous voulons à nos enfants, et jusqu’à preuve du contraire ce n’est pas possible. On nous met devant des impossibilités. Dans certaines mairies comme à Tizi Ouzou, ils sont vraiment intransigeants. Ils exigent des certificats de Baptêmes et même avec cela , parfois ils refusent. Nous, nous ne voulons pas de chariâa, de religion d’Etat, c’est contraire à nos principes. Maintenant, pourquoi cette loi a été promulguée ? Si je me souviens bien il y avait que Louiza Hanoune qui s’était abstenu au Parlement, et il parait que tous les partis politiques ont laissé passer cette loi comme une lettre à la poste sans protester et sans rien faire. Donc, la situation est critique, ils islamisent, ils islamisent, et ils accusent les autres de ce qu’ils font eux-mêmes. On nous accuse d’évangéliser, que je sache, nous n’avons pas de clochers dans tous les coins de rues, nous n’avons pas les moyens audio-visuels qu’ils ont, c’est-à-dire la télé et la radio. On n’a jamais accepté de nous donner la parole, tout simplement. En somme, cette loi de 2006 est un instrument pour taper sur les chrétiens et s’en servir à chaque fois que l’on veut faire diversion…

Vous avez, il quelques mois, déposé plainte contre les autorités de la wilaya, l’UGTA, la mairie de Béjaïa pour la récupération du Temple protestant sis aux boulevard Bouâouina, et que vous dites revient de droit à l’EPA. Est-ce que vous pensez qu’il y a un lien entre cette plainte et l’arrêté du wali ?

Pour savoir s’il y a un lien effectif, je pense qu’il faudrait s’adresser à monsieur le wali, puisque c’est à lui de dire qu’est-ce qu’il le dérange là-dans, mais de toute façon, l’affaire est en justice, et normalement on ne commente pas les affaires de justice. Mais, je vais vous donner un petit historique sur le sujet. C’est l’église évangélique réformée de Béjaïa qui a été fondée en 1922 qui était établie à cet endroit et qui a fonctionné jusqu’en 1973.

Ce temple a été remis à l’église réformée d’Algérie qui s’est transformée en 1974 en Eglise protestante d’Algérie (EPA). Donc, de plein droit, par affiliation, ce Temple nous appartient et il est inscrite à la conservation foncière. J’ai commencé à faire des démarches en 2003, , je me suis adressé d’abord au wali qui ne m’a jamais répondu. J’ai fait au moins huit lettres de demandes d’audiences aux walis précédents. Une seule fois ,on m’a reçu et c’était un de ses adjoints qui m’a reçu, il a rempli un petit dossier et puis, depuis plus aucune nouvelle. Nous avons vu avec le ministère des Affaires qui a diligentée une affaire. On m’avait dit que si cela concerne les Waqfs…etc., pas de problèmes, on peut récupérer çà et vous remettre ce temple. Finalement, l’enquête a déterminé que ce temple est une propriété qui appartient à l’association de l’Eglise réformée qui est devenue aujourd’hui l’Eglise protestante d’Algérie. Donc, c’est une propriété privée qui appartient à une association, et donc c’est à nous de réclamer nos droits et le ministre des Affaires religieuses ne peut en aucun cas intervenir dans ce cadre privé. Nous avions pensé qu’à l’amiable nous arriverons à des résultats. Finalement, et je crois que c’était le directeur des domaines qui m’avait dit : « M. Krim, je vais vous donner un conseil. Si ce n’est pas le juge qui va donner la consigne de dire remettez ce temple à telle association, nous, de notre côté, nous ne pouvons pas bouger ».. Sur son conseil, nous avions effectivement esté en justice la mairie, la wilaya, la conservation foncière et l’UGTA. Apparemment, la plupart d’eux se sont désistés en disant que nous ne sommes pas concernés. Reste la wilaya, puisque c’est elle qui s’est accaparé les locaux en 1973 pour les remettre à l’UGTA. Il se trouve qu’à cette époque, le dernier Pasteur en fonction est tombé gravement malade et dû être rapatrié en France. Ils ont tardé à le remplacer et finalement ils ont fait main basse sur cette propriété depuis.



A El Watan, le wali a déclaré que c’est à vous « de savoir ce qui (vous) manque pour se conformer à la loi en vigueur », quelle est votre réaction ?


Je ne sais pas s’il plaisante ou quoi, mais en tant que premier responsable de la wilaya de Béjaïa, c’est quand même à lui de dire clairement ce qui ne va pas et pourquoi. Je lui rappelle qu’il est chargé d’assurer notre protection. Moi; j’ai plutôt l’impression qu’il est en train d’allumer la mèche pour nous monter, soit contre les musulmans ou la population. Je pense que son travail est de définir la loi et de nous adresser justement les requêtes qu’il faut pour nous conformer à cette loi. Mais, j’aimerais déjà dire que nous n’avions pas attendu le remplacement du wali pour nous mettre au travail. Depuis 2006, nous avions adressé aux services de sécurité une lettre bien claire et transparente signalant tous nos lieux de culte leur faisant mention que nous avons fait notre possible pour être en conformité. Tous nos lieux de cultes sont vraiment bien indiqués avec des plaques signalétiques à l’extérieur. Maintenant, s’ils veulent jouer la petite bête, moi; je dirai que j’ai un agrément en bonne et due forme qui n’est invalidable que par voie de justice.



Vous avez été reçu, suite à cet arrêté, par le ministère des Affaires religieuses. Que vous a-t-on dit ?


Il était question que le ministre des Affaires religieuses nous reçoive mais il y avait beaucoup de personnalités dans son bureau. Son représentant était très étonné de ce qui s’est passé. Il a pris le téléphone devant nous et il a appelé le ministère de l’Intérieur et personne n’était informé de ce qui se passait. Donc, apparemment c’est une initiative personnelle du wali puisque les autres ne sont pas informés. Et je dirai même que dans la notification il y a beaucoup de vices de formes. Nous voyons paraitre, par exemple, que cet arrêté s’adresse à toutes les communautés sur le territoire national !

C’est écrit en toute lettre. Je ne vois pas comment un wali peut prendre des décisions au niveau national. Je pense que c’est à lui de revoir sa copie. Et, s’il veut nous recevoir, je suis prêt à le rencontrer et à parler non seulement de vive voix mais avec des papiers et en parler dans la transparence et la clarté à ce qu’il attend de nous et de ce que nous attendons de lui.

Est-ce que vous avez vraiment l’intention de vous soumettre à cet arrêté ?

Bon, déjà le commissaire principal a refusé de me remettre cet arrêté. La notification que j’ai reçue est pleine d’irrégularités, et je n’ai d’autant pas l’intention de m’y soumettre. Nous allons continuer nos cultes comme d’habitude et merci à tous ceux qui nous soutiendront de près ou de loin d’une manière pacifique et vraiment nous comptons sur la providence de Dieu pour nous sortir de cette impasse.

On vous laisse le soin de conclure…

Moi ,je dirai à monsieur le wali, que Dieu vous bénisse et qu’il puisse vous aider à faire la lumière dans cette situation et à remplir le rôle pour lequel vous avez été nommé.

B. S. / M. B.