Témoignage du Diacre Ponce, sur le martyre de Saint Cyprien                (14 Septembre 258).

Pendant les cinq ou six siècles de son existence, l’Eglise d’Afrique n’eut pas de plus grands hommes que Tertullien, saint Cyprien et saint Augustin. Ce fut cette renommée qui désigna Thascius Cécilien Cyprien (ensuite Saint Cyprien) aux persécuteurs. Valérien rendit, l’an 257, un édit d’après lequel, pour la première fois, la communauté chrétienne était traitée en association illicite. D’après divers indices, on constate que la question religieuse est au second plan, car la nature de la peine infligée à ceux qui refusent de sacrifier est l’exil. L’édit réserve ses sévérités pour ceux qui feront revivre l’association dissoute. Conformément à cette législation, Cyprien, ayant refusé de sacrifier, fut envoyé à Curube; mais il est probable que l’édit fut insuffisant, car on l’aggrava l’année suivante. L’édit de 258 déclarait que tous les évêques, prêtres ou diacres, qui refuseraient d’abjurer, seraient sur-le-champ mis à mort. Ce fut donc comme sacrilège, conspirateur et fauteur d’association illicite, que Cyprien fut condamné et exécuté en martyr le jour mémorable du 14 Septembre 258. Voudrions-nous bien redire ici l’émouvant témoignage des actes proconsulaires du martyre de Thascius Caecilius Cyprien (14 Septembre 258), tels que rapportés par Ponce, son diacre :

L’empereur Valérien était consul pour la quatrième fois et Gallien pour la troisième. Le 30 août, à Carthage, dans son cabinet, Paterne dit à Cyprien:

– Les très saints empereurs Valérien et Gallien ont daigné m’adresser des lettres par lesquelles ils ordonnent à ceux qui ne suivent pas la religion romaine d’en reconnaître désormais les cérémonies. C’est pour cette raison que je t’ai fait citer: que réponds-tu ?

Cyprien répondit : « Je suis chrétien et évêque. Je ne connais pas de dieux, si ce n’est le seul et vrai Dieu qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent. C’est ce Dieu que nous, chrétiens, nous servons; c’est lui que nous prions jour et nuit, pour nous et pour tous les hommes, et pour le salut des empereurs eux-mêmes.

– Tu persévères dans cette volonté?

– Une volonté bonne, qui connaît Dieu, ne peut être changée.

– Pourras-tu donc, suivant les ordres de Valérien et de Gallien, partir en exil pour la ville de Curube ?

– Je pars.

– Ils ont daigné m’écrire au sujet non seulement des évêques, mais aussi des prêtres. Je veux donc savoir de toi les noms des prêtres qui demeurent dans cette ville.

– Vous avez très utilement défendu la délation par vos lois. Aussi ne puis-je les révéler et les trahir, on les trouvera dans leurs villes.

– Je les ferai rechercher, et dès aujourd’hui, dans cette ville.

– Notre discipline défend de s’offrir de soi-même, et cela contrarie tes calculs, mais si tu les fais rechercher, tu les trouveras.

– Oui, je les trouverai, et il ajouta : les empereurs ont aussi défendu de tenir aucune réunion et d’entrer dans les cimetières. Celui qui n’observera pas ce précepte bienfaisant encourra la peine capitale.

– Fais ton devoir.

 

Alors le proconsul Paterne ordonna que le bienheureux Cyprien, évêque, fût exilé. Il demeurait depuis longtemps déjà dans son exil, lorsque le proconsul Galère Maxime succéda à Aspase Paterne. Il rappela Cyprien du lieu de son exil et ordonna, qu’on le fit comparaître devant lui. Cyprien, le saint martyre choisi de Dieu, revint donc de Curube où l’avait exilé Paterne; il demeurait, conformément, à l’ordre donné, dans ses terres, où il espérait chaque jour voir arriver ceux qui devaient l’arrêter, comme un songe l’en avait averti.

Il s’y trouvait donc lorsque soudainement, le 13 septembre, sous le consulat de Tuscus et de Bassus, deux employés du proconsul, l’un écuyer de l’officium de Galère Maxime, l’autre palefrenier du même officium, vinrent le prendre ; ils le firent monter en voiture, se mirent à ses côtés et le conduisirent à Sexti, où Galère s’était retiré en convalescence. Celui-ci remit la cause au lendemain. On ramena Cyprien à Carthage dans la maison du directeur de l’officium, laquelle était située au quartier de Saturne, entre la rue de Vénus et la rue Salutaire. Tout ce qu’il y avait de fidèles s’y porta; mais le saint, l’ayant su, ordonna de faire retirer les jeunes filles; le reste de la foule stationna devant la porte de la maison. Le lendemain matin, 14 Septembre, la foule immense, sachant l’ajournement prononcé la veille par Galère Maxime, se transporta à Sexti.

Le proconsul dit à Cyprien : « Tu es Thascius Cyprien?

– Je le suis.

– Tu t’es fait le pape de ces hommes

sacrilèges?

-Oui.

– Les très saints empereurs ont ordonne que tu sacrifies.

– Je ne le fais pas.

– Réfléchis

– Fais ce qui t’a été commandé dans une chose aussi juste, il n y a pas matière à réflexion »

Galère, ayant pris l’avis de son conseil, rendit à regret cette sentence: « Tu as longtemps vécu en sacrilège, tu as réuni autour de toi beaucoup de complices de ta coupable conspiration, tu t’es fait l’ennemi des dieux de Rome et de ses lois saintes ; nos pieux et très sacrés empereurs, Valérien et Gallien, Augustes, et Valérien, très noble César, n’ont pu te ramener à la pratique de leur culte. C’est pourquoi, fauteur de grands crimes, porte-étendard de ta secte, tu serviras d’exemple à ceux que tu as associés à ta scélératesse : ton sang sera la sanction des lois. »

Ensuite il lut sur une tablette l’arrêt suivant :

– « Nous ordonnons que Thascius Cyprien soit mis à mort par le glaive ».

Cyprien, dit:

– « Grâces à Dieu ».

Dès que l’arrêt fut prononcé, la foule des chrétiens se mit à crier. « Qu’on nous coupe la tête avec lui ». Ce fut ensuite un désordre indescriptible; la foule cependant suivit le condamné jusqu’à la plaine de Sexti. Cyprien, étant arrivé sur le lieu de l’exécution, détacha son manteau, s’agenouilla et pria Dieu, la face contre terre. Puis il enleva son vêtement, qui était une tunique à la mode dalmate, et le remit aux diacres. Vêtu d’une chemise de lin, il attendit le bourreau. A l’arrivée de celui-ci, l’évêque donna ordre qu’on comptât à cet homme vingt-cinq pièces d’or. Pendant ces apprêts, les fidèles étendaient des draps et des serviettes autour du martyr. Cyprien se banda lui-même les yeux. Comme il ne pouvait se lier les mains, le prêtre Julien et un sous-diacre, portant, lui aussi le nom de Julien, lui rendirent ce service. En cette posture, Cyprien reçut la mort. Son corps fut transporté à quelque distance, loin des regards curieux des païens. Le soir, les frères, munis de cierges et de torches, transportèrent le cadavre dans le domaine funéraire du procurateur Macrobe Candide, sur la route de Mappala, près des réservoirs de Carthage. Cependant, quelques jours plus tard, le proconsul Galère Maxime mourut… Le bienheureux martyre Cyprien mourut le 14 Septembre 258, sous le règne des empereurs Valérien et Gallien. Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui soit gloire et honneur, règne dans les siècles des siècles.

Amen.

Et le diacre d’achever son témoignage par cette pensée digne de compassion :

“Ainsi se consomma le sacrifice; et Cyprien, qui avait été le modèle de toutes les vertus, fut encore le premier qui, en Afrique, teignit de son sang les couronnes épiscopales; car avant lui personne, depuis les apôtres, n’avait eu cet honneur. Dans cette suite d’évêques qui avaient siégé à Carthage, quoique beaucoup eussent déployé de rares vertus, jusqu’à lui on n’en cite aucun qui soit mort martyr. Il est vrai que l’obéissance et le dévouement à Dieu, dans des hommes consacrés à son service, a droit d’être regardé comme un long martyre; pour Cyprien cependant la couronne fut plus complète, Dieu ayant voulu consommer son sacrifice, afin que, dans la cité même où il avait vécu d’une manière si sainte et accompli le premier tant de grandes et nobles choses, le premier aussi il embellît, de la pourpre glorieuse de son sang, les ornements sacrés d’un ministère tout céleste. Et maintenant que dirai-je de moi-même? Partagé entre la joie de son sacrifice et la douleur de lui survivre, mon coeur est trop étroit pour suffire à ce double sentiment, et mon âme est accablée sous le poids de ces deux impressions qui se la partagent. M’attristerai-je de n’avoir pas été son compagnon? Mais sa victoire doit être pour moi un sujet de triomphe. D’un autre côté, puis-je triompher de sa victoire, quand je pleure de l’avoir vu partir sans moi ? Toutefois, je vous l’avouerai avec simplicité (mais vous connaissez déjà toutes mes pensées), sa gloire m’inonde de joie, d’une joie trop grande peut-être; et cependant la douleur d’être resté seul l’emporte encore…”

Ainsi finit l’émouvant témoignage du Diacre Ponce, du martyre de Saint Cyprien. Le prestige de Saint Cyprien demeura immense dans les siècles qui suivirent et à Carthage, trois basiliques lui furent consacrées…

AYA YETSWARU I WAKKEN AD-D NEMMEKTI.

(Ceci est écrit pour mémoire),

Damiano.