Oui d’où vient ce nom, Kabyle, prononcé en phonétique internationale [QVYL], en tifinagh ⵇⴱⵢⵍ, en arabe قبايل ?
Les chercheurs français du XIXème siècle, qui se sont penché sur l’origine du nom des Kabyles n’ont considéré que sa présence dans la langue arabe, laquelle n’est arrivée, en Tamazgha (Berbérie), au mieux, qu’au VIII siècle et en Kabylie bien plus tard. Comment est-il possible de croire que le mot vienne de la langue arabe et que les Kabyles ne se soient pas donné ce nom à eux-mêmes ?
Il y a une raison à cela, c’est que les Berbères, de manière générale, n’ont pas gardé les noms génériques de l’Antiquité ou du Moyen-âge, Numides, Maures, Massyles ou Africains, etc. Soit parce qu’ils ne les avaient pas adoptés, s’ils leurs furent donnés , soient parce qu’ils les ont superbement ignorés, du fait qu’ils ne les avaient jamais utilisés. Et ils ne les utilisaient pas parce qu’ils en avaient d’autres, ceux par lesquels ils se nommaient. Nous voyons bien, avec la période latine, que les noms des populations qui luttèrent contre les légions romaines, changeaient avec les tribus ou les confédérations de tribus, situées tantôt à l’est, tantôt à l’ouest ou au sud. Et ces noms pour leur grande majorité ne se retrouvent plus avec les noms de tribus que nous a laissé Ibn Khaldoun ou les autres chroniqueurs musulmans du Moyen-Âge.
Quoi qu’il en soit, et n’en déplaise aux esprits colonialistes, pas plus que les Romains n’ont donné leur nom aux Gaulois, les Arabes n’ont donné leur nom aux Kabyles. En revanche on peut constater que les Berbères se sont distingués, non pas par rapport à leurs races ou leurs ethnies, mais par rapport à leurs langues. Kabyles vient de la langue “kabyle”, TAQBAYLIT, comme le nom des Mozabites vient de la langue mozabite, comme le nom des Rifains vient de leur langue tarifite etc. Comme du reste les Français vient de la langue “française”, comme Arabes vient de la langue arabe, comme Chinois vient de la langue chinoise, etc. etc.
Aujourd’hui les Berbères ont décidé de se donner, pour se désigner globalement, le terme générique de Imazighen (voire les Mazighs), qui vient de la langue tamazight, parlée dans le Haut-Atlas marocain. Cependant les Kabyles n’ont pas abandonné leurs aspects distinctifs, essentiellement linguistique et culturel, ce qui est tout à fait normal.
La question abordée ici n’est pas identitaire, même si elle peut contribuer à apporter des explications à l’identité kabyle. Il s’agit de savoir, non d’où viennent les Kabyles, mais d’où vient le mot qui les désignent et, en l’occurrence, d’où vient le mot qui désigne leur langue, TAQBAYLIT. On revient alors aux significations qu’on en donne habituellement : “Le terme français « kabyle », nous dit-on, vient de l’arabe qabīla (« tribu ») dont le pluriel, qabāʾil, désigne les Kabyles; or nous dit-on encore, Qabīla est dérivé de la racine [QBL] qui, comme le verbe qabila, signifie “acceptation“. Comme on le voit on ne se réfère pas du tout à la question de la langue kabyle dont la racine est la même. Or il y a plus, puisque le même mot signifie à la fois “la langue kabyle”, la “femme kabyle” et la “conduite kabyle”. D’où l’intérêt d’aller voir cette racine, dans le champ lexical berbère et arabe, mais aussi dans les autres langues cousines, à savoir l’hébreu et l’araméen., voire éthiopien et d’autres langues ainsi qu’on peut le voir dans le tableau ci-dessous:.
Accepter, accueillir, recevoir etc… dans les langues chamito-sémitiques
De sorte que nous retrouvons avec raison la racine [QBL] dans les écrits de l’Ancien Testament de la Bible comme dans ce texte du chapitre 21, verset 11 du livre 1 des Chroniques
Donc le mot par lequel les Kabyles désignent à la fois leur langue, la femme kabyle et la pratique kabyle, que Mouloud Mammeri a appelé le “code de conduite” kabyle, signifie bien accepter, recevoir, accueillir et même croire. La question a résoudre est donc celle-ci : qu’est-ce que les ancêtres des Kabyles ont-ils reçu, ou accepté, ou accueilli ou cru qui leur a permis, dés lors, de prendre ce nom générique de(s) acceptant(s); ou de(s) recevant(s), ou d‘accueillant(s), ou de(s) croyant(s) ?