Remarque liminaire. Cette étude a recours à des “liens hypertexte” sous forme de lignes bleues (équivalent aux références à la fin d’un texte), permettant d’accéder (uniquement via un écran), par clic sur l’une de ces lignes, à la définition d’un terme, ou à la justification d’une affirmation. Une copie “papier” de cette étude ne permet pas le complément d’information donné par ces “liens“.
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Quand le Sacrifice du Sauveur est renouvelé à l’apogée de chaque messe, le symbolisme de la goutte d’eau, versée peu avant dans le vin du calice, se dévoile. Divers sens lui ont été associés: l’humanité imparfaite de chacun de nous, l’humanité unie au Christ, toute la misère et tout la souffrance du monde, l’union mystérieuse du Christ avec le Peuple de Dieu. Le Dictionnaire de la Liturgie est plus complet avec: “l’union des deux natures – divine et humaine – dans la personne du Verbe incarné ; il évoque l’eau et le sang sortis du côté du Christ après sa mort sur la Croix (cf. Jn 19,34) ; enfin, il exprime l’association des fidèles au sacrifice et à la vie du Christ rédempteur“.
L’ ouvrage “Oeuvres de Léon Bloy” (Ed. Mercure de France, 1970), est constitué de trois livrets : Le symbolisme de l’apparition; Celle qui pleure; Introduction à la Vie de Mélanie. Il représente la partie des écrits de l’auteur, consacrée à une exégèse symbolique, et à l’apparition de La Salette. Le troisième thème du premier livret est une sublime méditation intitulée Les Larmes de Marie (voir le texte complet ci-dessous dans le format PDF). A tout lecteur attentif, cette méditation inspire naturellement un autre sens au symbolisme de la goutte d’eau versée dans le vin du calice :
Cette goutte d’eau (de la taille d’une simple larme) symbolise toutes les Larmes que la Très Sainte Mère de Dieu a versées depuis la naissance de son Divin Fils, jusqu’à l’apogée de Sa Passion, et qu’elle continue à verser devant les péchés de ses enfants, dont l’extrême gravité les change parfois en sang.
Plus précisément, ce symbolisme transparait dans ces extraits du texte de Léon Bloy :
- “Les Larmes de Marie sont le Sang même de Jésus-Christ, répandu d’une autre manière, comme sa Compassion fut une sorte de crucifiement intérieur pour l’Humanité sainte de Son Fils. Les Larmes de Marie et le Sang de Jésus sont la double effusion d’un même cœur, et l’on peut dire que la Compassion de la Sainte-Vierge était la Passion sous sa forme la plus terrible.
- […] Quand Marie pleure sur nous, ses Larmes sont un véritable déluge universel du Sang Divin, dont elle est la Dispensatrice souveraine et cette effusion est en même temps la plus parfaite de toutes les oblations. Comme Elle est la seule Mère selon la nature qui ait le droit de pouvoir adorer son Fils, elle est aussi la seule Mère selon la Grâce qui ait le pouvoir de le faire adorer à l’innombrable multitude de ses autres enfants par la seule vertu de ses Larmes.
- […] Mais après tout, les magnifiques larmes de la loi d’attente (i.e. celles de l’Ancien Testament) n’ont en propre ni l’infinité de la durée ni l’universalité de la vertu réparatrice et c’est la double raison d’exister des Larmes de la Sainte-Vierge qui coulent parallèlement au Sang de Son Fils, et qui participent aux mêmes privilèges comme deux grands fleuves qui fertiliseraient le même continent. Jésus souffrira dans ses membres et Marie pleurera dans ses enfants jusqu’à la dernière minute du dernier siècle …“
Ainsi, ces extraits s’associent naturellement à l‘iconographie de la Pietà, où “sur l’autel de Ses Genoux, Marie offre à DIEU PÈRE SON FILS, avec ses Larmes et sa Douleur de Mère“, image poignante de la terrible et cruelle détresse de celle qui, après son Fiat, pendant 9 mois a été L’Arche de la Nouvelle Alliance.
Avant ces lignes, dès le début de sa réflexion, dans un premier temps Léon Bloy nous fait percevoir le sens des Larmes de la Mère de Toutes les Douleurs, ceci par unification de tous les autres commentaires sur la “goutte d’eau” (humanité imparfaite unie au Christ, association des fidèles au sacrifice et à la vie du Rédempteur, fidèles immergés dans toute la misère et toute la souffrance du monde, l’eau et le sang sortis de la plaie du côté du Christ). Il le fait dans ces termes :
- Les Larmes de la Mère des Douleurs remplissent l’Écriture et débordent sur tous les siècles. Toutes les mères, toutes les veuves, toutes les vierges qui pleurent n’ajoutent rien à cette effusion surabondante qui suffirait pour laver les cœurs de dix mille mondes désespérés. Tous les blessés, tous les dénués et tous les opprimés, toute cette procession douloureuse qui encombre les atroces chemins de la vie, tiennent à l’aise dans les plis traînants du manteau d’azur de Notre-Dame des Sept-Douleurs. Toutes les fois que quelqu’un éclate de pleurs, dans le milieu de la foule ou dans la solitude, c’est elle-même qui pleure, parce que toutes les larmes lui appartiennent en sa qualité d’Impératrice de la Béatitude et de l’Amour.
Par le biais du thème de la souffrance de “tous les opprimés“, ces lignes évoquent implicitement les martyres de tous les temps, et particulièrement pour notre époque, nos frères dans le Christ qui dans le monde (Afrique, Moyen Orient, Indonésie, …, et même Europe) sont victimes de persécutions (cf. 1) (cf. 2) (cf. 3) (cf. 4) (cf. 5) (cf. 6). Persécutions qui atteignent parfois le niveau de l’horreur quand des enfants sont concernés. Ces Frères, souvent placés devant l’option effrayante de “la mort ou la vie par conversion à l’islam”, sont aussi Victimes de notre indifférence, de notre silence, de notre oubli. Pour des raisons de comportement politiquement, religieusement et ecclésialement correct, ils sont laissés au bord du chemin, seuls avec leurs plaies, leurs souffrances (parabole du Bon Samaritain). On devine alors ce qui résulte pour les Larmes de la Reine des martyres. Ceci, malgré la vision consolatrice de la compassion d’athées, et même de musulmans (Muhammad Al-Hussaini et Boualem Sansal), pour le sort de nos frères dans le Christ. Ces non chrétiens, devenus l’image du Bon Samaritain (§ 4 de cf. 1 ), ne comprennent pas le silence des responsables politiques, et celui de l’Église.
L’un de ces athées, Raphael Delpard, auteur d’un livre et d’un film, voie dans ces persécutions un “mystère encore plus impénétrable lorsqu’on tente de comprendre le moteur interne des chrétiens qui les pousse à endurer, mourir, plutôt que de sauver leurs vies, et leurs pauvres destins“. Dans une recension du livre de Raphaël Delpard, la journaliste de Riposte Laïque, Lucette Jean-Pierre, bouleversée par le courage de ces chrétiens qui subissent de longues séances de tortures, mais refusent d’abjurer leur foi, quitte à payer cela du prix de leur vie, s’étonne du silence de l’Église catholique, du silence des hommes politiques de droite comme de gauche. De son côté, lors de sa visite dans les églises et les villages du nord Nigeria incendiés, ou détruits, par les fondamentalistes islamiques, le philosophe Bernard-Henri Lévy, profondément touché par le sort cruel des chrétiens de ces régions, reproduit le témoignage de prêtres, évêques locaux sur des femmes, et hommes, mutilés, assassinés, après avoir refusé la conversion à l’islam. S’adressant aux leaders chrétiens, une personnalité musulmane britannique, le Sheikh Dr Muhammad Al-Hussaini, va même jusqu’à dire que “la persécution des chrétiens s’amplifie parce que la hiérarchie de l’Église s’en soucie peu“. A ce sujet lire l’article “Iman blames Christian Leaders for the Persecution of Christians” du site de Christian Concern. De son côté l’écrivain algérien, Boualem Sansal (menacé de mort par les islamistes), s’étonne lui aussi d’une telle indifférence. Il le fait dans un article de la Revue des Deux Mondes, consacré à la situation religieuse actuelle, sous fond d’un islam deuxième religion de France, “bientôt la première” (dernier quart de la page 54). Or, sur le critère de la pratique religieuse, l’article Islam Overtaking Catholicism in France, basé sur un sondage de l’IFOP de 2011, dit que l’islam était déjà la première religion en France: 1.9 million de catholiques pratiquants, 2.5 millions de musulmans pratiquants.
Aux États Unis, l’indifférence des églises américaines pour le sort effroyable des chrétiens persécutés a suscité la stupéfaction de la journaliste américaine Kirsten Powers: “Les chrétiens du Moyen-Orient forcés de fuir le berceau du christianisme, et d’Afrique, sont massacrés, torturés, violés, kidnappés, décapités. On pourrait penser que cette horreur pourrait dévorer les chaires et les bancs des églises américaines. Il n’est pas ainsi. Le silence est presque assourdissant“. En France, la situation est la même. Parfois on a une très rapide et extrêmement rare mention de persécution (limitée au mot, sans commentaire, i.e. le “service minimum”), mention noyée dans le chapelet des intentions égrenées lors de la Prière Universelle, et le terrible sort de nos frères dans le Christ (qui reproduisent l’héroïque témoignage sanglant des premiers chrétiens) n’est quasiment jamais évoqué dans les homélies.
Si Léon Bloy vivait notre époque, il est probable que les persécutions contemporaines des chrétiens lui auraient inspiré d’autres belles pages. Cependant, le texte du 19ème siècle suffit pour discerner le lien unissant les Larmes de Marie (dont celles versées en tant que Reine des martyres) et l’Eucharistie, à travers la participation de l’Épouse du Saint Esprit au Sacrifice de son Divin Fils, fait qui réalise le plein accomplissement de ce Sacrifice[1]. Ce Sacrifice a lieu dès que le prêtre, dit les paroles de consécration. Devenant le Christ Même, les bras tendus vers le Ciel, il offre alors au PÈRE la Victime (en latin Hostia), devenue substantiellement Corps, Sang, Âme et Divinité du Christ (i.e. Présence Réelle devant laquelle le genou fléchit, Philippiens 2:8-11, Romains 14,11-12). Il offre ensuite le Sang du Christ mêlé aux Larmes de Marie. Il ne s’agit plus de pain, et de vin, avant mutation de leur substance (mot dans son sens philosophique). Au Corps, Sang, Âme et Divinité du Sauveur, et à Son Sang, on doit alors un geste d’adoration, et non pas cette légère inclination de la tête (malheureusement maintenant généralisée), signe de déférence adressé à un symbole humain, comme celui du passage du drapeau national dans un défilé, ou lorsqu’on salue un personnage important.
[1] – Marie Co Rédemptrice. Cette notion, née au XVème siècle, a fait l’objet de débats notamment au cours de la première moitié du XXème siècle, avant d’être rejetée comme contraire à la foi (il n’y a qu’un seul Rédempteur: Jésus-Christ), après débat lors du concile Vatican II qui ne l’emploie pas. Avant le concile Vatican II le titre fut utilisé par plusieurs papes (Pie XI, Pie XII). Pie XI s’exprime ainsi dans le texte de la prière de la clôture solennelle du Jubilé de la Rédemption, 28 avril 1935 : “Ô Mère aimante et miséricordieuse (…) vous vous êtes tenue debout près de Lui, souffrant avec Lui comme Co Rédemptrice…”. Pie XII utilise également cette phrase : “Pour avoir été associée avec le Roi des Martyrs dans son ineffable œuvre de la rédemption humaine, comme Mère et comme Co Rédemptrice. C’est aussi le cas de Padre Pio canonisé le 16 juin 2002 par Jean-Paul II.”
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