Cher frère en Christ, cher Magdi Cristiano Allam,
En apprenant, comme beaucoup de convertis issus de l’islam, que vous aviez pris la décision de quitter l’Église Catholique, j’ai été consterné et attristé.
Mais au-delà de ma peine, je voudrais vous dire que je regrette que votre décision ait été prise avant que ne fût aboutie l’initiative de rencontrer le Saint-Père en délégation.
Nous l’avions envisagé tous les deux, à l’automne dernier, et vous en aviez rendu compte le 15 octobre 2012 dans Il giornale.
Le but de notre visite était de savoir si, en tant qu’ex-musulmans, nous avons notre place au sein de l’Église catholique. Dans mon esprit nous devions avoir les réponses à ces deux questions naturelles, et légitimes, lors de cette entrevue :
1) l’Église catholique nous considère-t-elle, oui ou non, totalement et pleinement membres du Corps du Christ ?
2) Si oui entend-elle le dire clairement et ouvertement urbi et orbi ?
Je voudrais vous dire que cette demande d’audience a été remise au Pape, à la mi-novembre, par Monseigneur Santier, l’évêque de Créteil, qui a reconnu l’association Fraternité Notre-Dame de Kabylie, dont je suis le fondateur comme vous savez.
J’ai omis de vous en informer, en temps voulu, car j’espérais une réponse du Saint-Siège pour le mois d’avril au plus tard. Toutefois la renonciation de Benoît XVI a tout bouleversé. Une fois son successeur connu, je me suis demandé s’il ne fallait pas la représenter, après la semaine Sainte, lorsque la nouvelle de votre défection a été rendue publique.
Permettez-moi de rappeler maintenant qui vous êtes, aux frères chrétiens troublés par votre annonce, et en particulier à ceux qui viennent des traditions musulmanes, comme vous et moi, et qui sont particulièrement nombreux, ici en France.
Lorsque Benoît XVI, en dépit de l’opposition que cela n’a pas manqué de susciter, vous a baptisé à Pâques 2008, votre nom et votre personne sont devenus un symbole, peut-être malgré vous. Dorénavant, avions-nous cru comprendre par ce geste, les musulmans n’étaient pas exclus de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ ; et que l’Église, en donnant ce signe fort, le reconnaissait par son magistère suprême.
Votre baptême eut un tel retentissement que votre renommée, d’un coup, dépassa l’Italie et même l’Europe.
Avant cela, en effet, vous étiez déjà connu pour vos prises de positions politiques et sociétales, en tant que journaliste, puis homme politique, ayant été, entre autres, sous-directeur du grand quotidien Corriere della Sera, dans lequel vos articles relatifs au Proche-Orient et aux relations du monde arabe avec l’Occident, heurtaient souvent en provoquant des polémiques.
Certains savaient même que, à cause de votre virulence contre le fanatisme islamiste, et du fait de votre origine égyptienne et musulmane, vous aviez reçu des menaces de mort et que vous étiez sous protection policière.
Par suite de cette renommée internationale, nous avons été nombreux à nous réjouir de votre venue à Pais le 13 octobre 2012, pour y donner une conférence mémorable à l’invitation de l’organisation TFP[1], suivie d’un discours lors de notre 3ème veillée de prière pour les chrétiens persécutés, organisée par Chrétienté solidarité et des associations de convertis issus de l’islam.
C’est à cette occasion que j’ai pu vous connaitre, vous rencontrer et parler avec vous pour découvrir votre réflexion sur un certain aveuglement politique européen. Mais pour ma part, peut-être à cause de l’ancienneté de mon baptême, j’ai toujours cru que notre action, en tant que néo-chrétiens, avait plus de légitimité sur le plan spirituel. Aussi je vous avais proposé :
• de constituer une association de convertis, dont vous auriez été l’un des porte-paroles au niveau européen ; voire son premier président.
• de demander au Saint-Père de recevoir une délégation de ces mêmes convertis, comprenant des non-catholiques, dans vous auriez bien sûr fait partie.
Vous n’aviez pas estimé opportun la constitution d’une association à l’échelon européen, bien que, une fois retourné en Italie, vous aviez écrit (Il Giornale du 15/10/2012) ceci :
« Mais j’ai saisi le sens du message : vous devez créer une institution qui encourage les musulmans à vaincre la peur, pour être baptisé publiquement, pour vivre ouvertement leur nouvelle foi. Nous sommes tous deux conscients que le vrai problème ce sont les chrétiens autochtones, parce qu’ils sont les premiers à avoir peur. Il y a beaucoup de plaintes de musulmans qui voudraient se faire baptiser, mais sont confrontés au refus des prêtres catholiques parce qu’ils ne veulent pas violer les lois des pays islamiques qui interdisent et punissent d’emprisonnement, parfois de mort, celui qui fait œuvre de prosélytisme ou celui qui commet le “crime” d’apostasie[2]. »
Je pense pour ma part que cette association, qui aura pour vocation de prendre place parmi les différentes Organisations non gouvernementales, est plus que nécessaire, urgentissime ! D’ailleurs, à une échelle modeste, nous continuons à travailler à sa constitution en France.
En revanche vous aviez approuvé l’idée d’une délégation qui serait reçue par le Saint-Père, avec un grand enthousiasme, puisque vous l’avez annoncé dans le même journal, à la même date.
Beaucoup de chrétiens, ex-musulmans ou non, ont été enchantés par l’idée de rendre visite au Saint-Père, et j’ai eu l’accord de frères et sœurs orthodoxes et évangélique pour faire partie de cette délégation, cher Magdi Cristiano, parce que tout simplement, aux yeux de tous, le Pape est la personnalité la plus représentative du monde chrétien : ils n’auraient pas considéré leur participation comme de la papolâtrie.
Du reste, vous le savez, Rome, c’est-à-dire le Vatican, est bien le lieu que souhaite atteindre l’islam conquérant, aujourd’hui encore, selon la déclaration du cheikh Qaradawi en 1995 : « donc ce qu’il reste à conquérir c’est Rome[3] ».
Très cher frère en Christ, si nous croyons que c’est Jésus-Christ qui nous a appelés à devenir membres de son Corps qu’est l’Église, nous ne pouvons pas ne pas l’aider à discerner la vérité sur notre démarche de conversion, ni la raison pour laquelle nous avons abjuré la religion héritée de nos parents.
Il se trouve que nous avons de graves divergences, avec un grand nombre de nos frères, pasteurs et laïcs, dans notre Église.
Certaines de ces divergences sont d’ordre politique ou sociétal. Elles concernent la loi et le gouvernement de la cité. Or, malgré ce que nous pourrions en dire, par suite de ce que nous avons expérimenté en milieu musulman, les Européens, je crois, ne sont pas encore prêts à nous écouter, parce qu’ils ont relégué la foi chrétienne dans la sphère privée et en sont grandement satisfaits.
L’enseignement du Christ, recommandant de distinguer entre Dieu et César, a été compris comme l’évection totale du premier dans les affaires confiées au second pour un sage gouvernement civil. Ceux que vous appelez « les chrétiens autochtones », ont oublié que l’homme n’est pas « sage » sans le secours et le soutien de Dieu. Et ceci d’autant plus que, pour la majorité d’entre eux, ils ne se réclament plus du christianisme et dénient aux enseignements divins toute ingérence dans le domaine politique.
Je suis convaincu, par contre, que le Seigneur nous appelle à donner avec force et fidélité notre témoignage sur un autre front que celui du choc des civilisations. Dans le combat spirituel auquel nous somme appelés, surtout si nous sommes unis par-delà nos sensibilités chrétiennes, notre parole aura toute sa crédibilité. Car notre choix d’adhésion à Jésus Christ, assumé librement, est un défi que nous lançons pacifiquement à la foi musulmane :
« Ô croyants sincères, devant Dieu, qui est le Juge ultime de nos actes et de nos pensées, nous acceptons d’être interrogés sur notre foi, acceptez la réciproque et cessez de nous opposer la loi islamique que nous récusons. »
Cependant il y a un autre défi que nous lançons, par notre seule existence cette fois, au courant relativiste qui s’est développé dans l’Église catholique. Selon ses tenants, en effet, l’islam est une voie de salut. Dans ce cas tous ces musulmans qui deviennent chrétiens, dont nous faisons partie, sont bien à plaindre ! Au lieu d’y voir un signe des temps pour l’Église[4], ces frères et sœurs, puisqu’ils continuent à se déclarer chrétiens, devront donc répondre à la question que nous leur posons avec sérénité, sans détours, devant le Magistère : qui vous autorise à déclarer qu’il est vain de prêcher l’Évangile du salut aux musulmans ? Peut-être que je me trompe, mais certaines de ces personnes donnent l’impression qu’elles aimeraient nous voir quitter l’Église.
Le Seigneur nous recommande de ne rien cacher. Jésus nous conseille même, en st Matthieu 18,17, d’aller trouver notre frère pour régler avec lui notre désaccord et, si besoin, en Église en dernier ressort. C’est ce que nous souhaitons faire.
Et qui contestera que cette vision du salut, qu’apporte le Fils de Dieu par Son incarnation et la Rédemption qui en découle, ne soit pas fondamentale et cruciale ; qu’elle n’est pas à la base du christianisme ? Si, en effet, il est possible d’entrer dans le Royaume de Dieu grâce à l’islam, pourquoi l’avons-nous quitté, après avoir pris les risques de subir désapprobations, condamnations et menaces diverses ?
Oui, il est temps aujourd’hui de poser la question : est-ce que nous avons notre place dans l’Église, au même titre que les Européens, ou bien sommes-nous des chrétiens de seconde zone, qu’il faudrait dissimuler, qui plus est, parce que nous appartiendrions ad vitam aeternam à l’Oumma islamique ?
Est-ce que notre baptême, en nous libérant des ténèbres du péché, ne nous a pas aussi octroyé la liberté des enfants de Dieu et la qualité de frères du Christ ? Serions-nous toujours justiciables de la charia ?
Ces questions doivent recevoir des réponses claires, et doivent être données, afin qu’il n’y ait plus d’ambiguïté, par le souverain pontife en personne.
De toutes les religions c’est le christianisme qui est le plus attaqué ; de toutes les confessions chrétiennes c’est l’Église catholique qui est la plus malmenée.
Cher Magdi Cristiano Allam, vous n’êtes pas sans savoir qu’en son sein même se sont levés des adversaires qui cherchent à la saper. N’avons-nous pas quelque responsabilité à alerter et à éviter des dérives fatales, dans le domaine que nous connaissons ?
Qui peut prétendre qu’il aime ces frères musulmans plus que nous, d’abord parce que nous avons la même origine, mais surtout parce nous voulons qu’ils deviennent, comme nous, enfants de Dieu par Jésus Christ ?
Je pense qu’il est de notre devoir d’en parler publiquement et d’aller voir le Saint-Père, afin que nous l’entretenions sur ces questions déterminantes pour le salut des hommes. Peut-être ne connait-il pas la doctrine islamique sur l’interdiction de quitter l’islam sous peine de mort, rappelée par le même cheikh Qaradawi dernièrement[5] ; peut-être n’est-il pas informé de notre situation, ni du nombre, de plus en plus important, de musulmans qui deviennent chrétiens, librement, malgré les périls, et en dépit du manque d’accueil de leurs frères d’Europe ?
Oui, publiquement et sans crainte, constituons une délégation et demandons au souverain pontife de nous recevoir. Notre demande est légitime.
Je vous ai écrit cette lettre le jeudi saint. Mais j’ai retardé son envoi et sa publication à dessein, pour me donner le temps de consulter d’autres frères et sœurs. J’ai utilisé le « vous » français plutôt que le « tu », pour marquer, aux yeux de tous, toute la considération que je vous porte.
Que le Seigneur nous guide et nous affermisse dans le témoignage que nous devons donner du bonheur de Le connaître.
Ce témoignage n’est pas facultatif, pour tout chrétien d’où qu’il vienne, bien au contraire, puisqu’au terme de notre vie, Il nous attendra et nous L’entendrons nous dire : « tu n’as pas eu honte de moi et de mes paroles, devant les hommes, entre dans Mon Royaume… »
Mohammed-Christophe Bilek.
[1] Tradition Famille et Propriété.
[2] Traduction du site de l’observatoire de la christianophobie.
[3] Traduction du site Point de bascule, d’un discours prononcé à la Muslim Arab Youth Association (MAYA) à Toledo (Ohio) – Archivé sur Investigative Project
[4] Tiré de l’ouvrage paru en 02/13 : « Des musulmans qui deviennent chrétiens », aux éditions Qabel.