1 Le séminaire islamo-catholique de Rome et l’appel des 144

 

Le premier séminaire du Forum islamo-catholique, suscité par le conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, et par des représentants des 138 leaders musulmans signataires de la lettre ouverte du 13 octobre 2007 aux leaders chrétiens, s’est tenu à Rome du 4 au 6 novembre 2008. Le 4 novembre, après une allocution du cardinal Tauran, chef de la délégation catholique, deux messages ont été lus, l’un par le chef de la délégation musulmane, Sheikh Mustafa Cerić, sunnite, grand-mufti de Bosnie-Herzégovine, l’autre par Seyyed Hossein Nasr, chiite iranien émigré aux Etats-Unis, professeur à la George Washington University.

 

Les travaux se sont déroulés à huis clos. Les deux  premiers jours, la discussion était introduite par un catholique et un musulman, chacun présentant une contribution d’une demi-heure. Les sujets discutés ont été d’abord “les bases théologiques et spirituelles” puis “la dignité humaine et le respect réciproque”.Le 6 novembre, après une déclaration conjointe en 15 points, le Pape a reçu les deux délégations, catholique et musulmane (24 membres et 5 consultants chacune). Après ce premier séminaire, les participants se sont engagés à en tenir un second d’ici deux ans, dans un pays à majorité musulmane.

 

Le présent article se limite aux points du séminaire concernant directement les sujets jugés “urgents, et préalables, à un dialogue de vérité” dans l’ “Appel pressant des chrétiens venus des pays musulmans ou y vivant” (pour simplifier: Appel des 144) publié par Notre-Dame de Kabylie, même si d’autres points de la déclaration finale y sont implicitement liés.

www.notredamedekabylie.net/Autresrubriques/ExpressionAwal/tabid/63/articleType/ArticleView/articleId/369/APPEL-des-CHRETIENS-du-monde-MUSULMAN.aspx

Ces sujets ont été abordés dans le cadre de la seconde journée de discussion qui portait sur le thème de la liberté et de la dignité humaine, ceci à la demande de Benoît XVI.

 

Les lecteurs désirant une relation plus large de toutes les questions traitées, la déclaration finale en 15 points, et les commentaires associés, les trouveront en particulier sur les sites suivants:

 

AsiaNewswww.asianews.it/index.php?l=en&art=13687&size=A

www.asianews.it/index.php?l=en&art=13690&size=A

 

www.Chiesa    chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/209230?fr=y

 

La Croix www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2355029&rubId=4078

www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2355206&rubId=4078

 

2 Respect de la liberté de religion, de conscience

 

Le jeudi 6 novembre, dans le discours de clôture, Benoît XVI a rappelé les aspects prioritaires qui doivent régir le dialogue entre les deux religions: le respect de la liberté de religion et de conscience. Le Saint Père a ainsi fermement condamné toutes les discriminations et les violences dont sont victimes les croyants, un peu partout dans le monde.

Ces questions constituent l’un des principaux points de désaccord dans les relations entre catholiques et musulmans. Les préoccupations de Benoît XVI, vis-à-vis du sort des minorités chrétiennes en terre d’islam, ont été exprimées clairement par cet extrait du discours:



“Je souhaite que les droits fondamentaux de l’homme soient défendus pour tous et partout. Les leaders politiques et religieux ont le devoir d’assurer le libre exercice de ces droits dans le plein respect de la liberté de conscience et de la liberté religieuse de chacun. La discrimination et la violence qui frappent les croyants, aujourd’hui encore, dans le monde entier, les persécutions souvent violentes qu’ils subissent, sont des attitudes inacceptables et injustifiables, encore plus graves et déplorables quand elles s’exercent au nom de Dieu“. 

Trois articles (le 5, le 6, et le 8) de la déclaration conjointe en 15 points traitent directement de la liberté religieuse et de conscience. 

Article 5 “L’authentique amour du prochain implique le respect de la personne et de ses choix dans les domaines de la conscience et de la religion. Il inclut le droit des individus et des communautés à pratiquer leur religion en privé et en public

 

Ce point a été l’un des plus discutés. L’islamologue jésuite Samir Khalil Samir, membre de la délégation catholique, l’a ainsi présenté sur le site “Asia News”: 

“Certains musulmans ont objecté: ‘Si vous écrivez cela, vous nous mettez en difficulté. Dans nos pays, la liberté religieuse est régie par des lois de l’Etat. Comment pourrons-nous diffuser un document contraire aux lois de l’Etat? Nous risquons d’être discrédités et marginalisés dans notre société’. Quelques-uns ont proposé de supprimer au moins les mots ‘en privé et en public”. 

(cf. www.asianews.it/index.php?l=en&art=13690&size=A)

 

Article 6 “Les minorités religieuses ont droit au respect de leurs convictions et de leurs pratiques religieuses. Elles ont aussi droit à des lieux de culte, leurs fondateurs et les symboles qu’ils considèrent comme sacrés ne doivent être en aucune manière objets de moquerie ou de ridicule“. 

On sait que ce double droit est loin d’être mis pleinement en pratique dans les états musulmans, où la reconnaissance abstraite de certains droits n’aboutit pas à leur application concrète. Ce sujet a constitué le “point dur” des discussions. Il a été décidé que chacun le traduirait dans sa propre langue et, en l’absence du pouvoir de changer les lois, de le diffuser au mieux pour sensibiliser les gouvernements.

 

En relation avec cet article 6, Seyyed Hossein Nasr, intellectuel universitaire chiite a répondu au discours de Benoît XVI: “Nous ne pouvons autoriser un prosélytisme agressif dans nos régions, qui va détruire notre foi au nom de la liberté”

 

L’article 8 concerne l’un des aspects de la liberté religieuse.

 

Article 8 : “Nous affirmons qu’aucune religion ni ses disciples ne peuvent être exclus de la société. Chacun doit être en mesure d’apporter sa contribution indispensable au bien de la société, spécialement au service des plus nécessiteux”.

 

3 Le problème de la sacralisation de la violence

 

Ce problème est l’objet de l’article 11: 

Article 11:“Nous professons que catholiques et musulmans sont appelés à être des instruments d’amour et d’harmonie parmi les croyants et pour l’humanité entière, en renonçant à toute oppression, à toute violence agressive, à tout terrorisme, spécialement lorsqu’il est commis au nom de la religion, et en mettant en avant le principe de la justice pour tous”. 

Ce point a aussi été particulièrement controversé. Le père Samir raconte: 

“Les musulmans voulaient que l’on retire le mot ‘terrorisme’ et qu’on le remplace par le terme plus général de ‘violence’. Parce qu’ils se sentent attaqués et accusés de terrorisme par tout le monde. L’un d’eux a dit: ‘Je ne suis pas Ben Laden. Pourquoi me faites-vous porter le poids de ce que fait Ben Laden?’. Puis la discussion s’est calmée. Certains musulmans ont reconnu que ceux qui les attaquent ne sont pas les chrétiens, mais le monde sécularisé et athée, auquel les musulmans et les chrétiens doivent résister ensemble. Ils ont donc exprimé le désir de surmonter les anciennes oppositions. Un musulman a dit qu’il n’acceptait plus la distinction classique entre Dar al-Islam, la Maison de la Paix, et Dar al-Harb, la Maison de la Guerre, qui comporte une division politico-religieuse du monde et encourage au jihad contre l’Occident. Il faudrait au contraire préférer la définition de Maison du Témoignage, s’étendant partout, dans les pays musulmans et dans les pays occidentaux, où l’important est de témoigner de sa foi, que l’on soit musulman ou chrétien”. 

 

4 Ce qui a été passé sous silence

 

Dans chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/209230?fr=ySandro Magister mentionne le point important laissé de côté: la liberté d’abandonner la foi musulmane et d’en embrasser une autre, notamment la foi chrétienne. Dans l’ “Appel pressant des chrétiens venus des pays musulmans ou y vivant” publié par Notre-Dame de Kabylie, c’est l’un des trois points considérés comme “urgents, et préalables, à un dialogue de vérité”. En effet dans les pays musulmans, l’apostasie est sévèrement punie, de mort dans certaines régions. Dans le meilleur des cas elle provoque l’ostracisme, le coupable étant, de fait, expulsé de sa famille et de la société civile. 

La reconnaissance explicite de cette liberté est bien absente de la déclaration finale. Quand Seyyed Hossein Nasr a présenté la déclaration au public, au nom de la délégation musulmane, il a justifié ce silence par des arguments historiques et politiques. 

A deux questions précises, l’une relative au droit de changer de foi et au sort des convertis, l’autre relative à la persécution des chrétiens en Irak, et dans d’autres régions musulmanes, la réponse du Professeur Seyyed Hossein Nasr est très étonnante pour ceux qui connaissent l’histoire de l’expansion de l’islam à partir du 7ème siècle, et le sort des esclaves chrétiens au Maghreb (cf. les relations des missionnaires de l’Ordre de la Merci). Cet universitaire a en effet répondu: “les difficultés de ces chrétiens ne sont rien par rapport à ce que les peuples musulmans ont souffert au cours des siècles du fait des chrétiens et, aujourd’hui en particulier, du fait d’Israël et des Etats-Unis”. Etant citoyen américain, il a ajouté: “Même au Texas, quand on devient musulman on subit l’hostilité et les pressions”.

 

5 Conclusion

 

A côté d’articles débutant par des expressions fortes comme “Nous affirmons”, “Nous déclarons”, “Nous sommes convaincus”, “Nous professons”, “Nous appelons”, on peut remarquer que les articles 5 et 6, qui concernent explicitement la liberté religieuse et de conscience, adoptent un autre ton. Peut-être parce que ces deux articles touchent la législation de certains pays musulmans.

 

L’un des intérêts de ce séminaire a été de mettre les interlocuteurs musulmans devant leurs responsabilités. Plus particulièrement ceci a été le cas du discours de Benoît XVI, qui a mis en relief les préoccupations de l’Église vis-à-vis des minorités chrétiennes en terre d’islam. C’est ainsi que les participants ont pu aborder les points qui fâchent. Une meilleure compréhension entre musulmans et chrétiens semble avoir résulté, les intervenants reconnaissant le sérieux, et le très haut niveau des débats.

 

Comme le dit Sandro Magister, cette rencontre a eu le mérite de mesurer le profond fossé qui sépare encore chrétiens et musulmans en ce qui concerne les droits des minorités chrétiennes en terre d’islam, et pour les musulmans le droit de changer de religion. A cet égard, elle a été un révélateur, dans ses succès comme dans ses limites.

 




Au plan d’une meilleure compréhension dans le dialogue, il faut noter un signe positif. Le site officiel (“A Common Word”) des 138 leaders musulmans, signataires de la lettre ouverte du 13 octobre 2007, a publié l’intégralité du texte de l’appel des 144:

www.acommonword.com/en/a-common-word-in-the-news/14-general-news/71–muslim-converts-to-christianity-ask-religious-experts-at-vatican-meeting-for-religious-freedom.html

en reprenant sa traduction en anglais www.asianews.it/index.php?l=en&art=13673&geo=7&size=A parue sur le site catholique “AsiaNews”, dont le directeur est missionnaire du Pontificio Istituto Missioni Estere.

 

Par contre en France, excepté celui de Radio Notre-Dame, les sites des grands médias catholiques (comme “La Croix”), ont ignoré le texte paru dans “Notre-Dame de Kabylie” qui leur avait été envoyé.