– I Présentation de Danielle Pister-Lopez auteur de l’article
Née à Oran, Danielle Pister-Lopez est descendante de familles alsacienne et espagnole, certaines installées en Algérie depuis 1839. L’exode de juin 1962 lui fit quitter la terre de ses aïeux pour la Moselle. Elle a fait des études de Lettres à l’Université de Nancy II. Agrégée de Lettres modernes, Maître de conférences honoraire, de 2004 à 2010 elle a assuré les fonctions de directrice du département de Lettres modernes à l’Université Paul-Verlaine à Metz. Elle est également chargée de cours à l’Université de Luxembourg.
Ses recherches universitaires portent essentiellement sur la relation entre le domaine religieux et la pensée philosophique au XVIIIème siècle français. Elle a participé à de nombreuses conférences sur la littérature, à laquelle elle est arrivée par le biais de l’opéra. Outre ses publications, elle a édité les actes du colloque “L’image du prêtre dans la littérature classique aux XVIIème et XVIIIème siècles” (éditions Peter Lang, Berne).
Un intérêt plus particulier pour la musique et l’opéra lui fit publier une étude sur “L’opéra à Oran de 1830 à 1962”, dans la revue L’Algérianiste(N° 121 et 122 de mars et juin 2008). Camille Saint-Saëns a été aussi le sujet de plusieurs de ses conférences préparées avec son mari, Jean-Pierre Pister. Il faut noter que ce célèbre compositeur, mort à Alger en 1921, a fait plusieurs longs séjours sur la terre natale de Danielle Pister-Lopez. Il en parlait ainsi: “Ma douce Algérie, quelle volupté que celle de respirer le parfum de ses orangers!”. Sur cette terre qui lui inspira sa Suite Algérienne et son Concerto de piano L’Egyptien, il composa plusieurs de ses œuvres dont Sonate pour violoncelle et piano, Cyprès et Lauriers, Marche pour les Etudiants d’Alger, et les esquisses de trois grandes Sonates pour le hautbois, la clarinette et le basson.
Dans cet article Danielle Pister-Lopez nous livre une réflexion “religieusement incorrecte” sur le film “Des hommes et des dieux” (Grand prix de Cannes 2010, plus de 3 millions de spectateurs), Prix du Jury œcuménique, et Prix de l’Education nationale. Ce film relate la vie des moines trappistes du monastère de Notre-Dame de l’Atlas de Tibhirine, peu avant leur enlèvement, suivi par un assassinat particulièrement barbare. En lien avec ce sujet, Notre-Dame de Kabylie a publié des extraits de la recension du livre “Christian de Chergé. Une théologie de l’espérance” (auteur Christian Salenson, Ed. Bayard, 2009) par Annie Laurent. Cette “théologie de l’espérance” du prieur du monastère de Tibhirine est une théologie qualifiée “islamo-chrétienne” dans plusieurs articles de ce site (cf. en particulier le paragraphe 2 du dernier). Il faut noter que cette théologie est très appréciée par les responsables du dialogue islamo-chrétien reconnu par la Conférence des Evêques de France (CEF). Aussi c’est naturellement que le Service National pour les Relations avec l’Islam (SRI) de la CEF a choisi le film “Des hommes et des dieux” pour aborder l’état de ce dialogue en France.
La recension du film “Des Hommes et des dieux”, par l’universitaire Danielle Pister-Lopez, est fort différente de celles, politiquement et religieusement correctes, qui ont accompagnée sa sortie. Elle dévoile le message caché par la beauté des images et les bons sentiments associés. Cette analyse apparaît alors comme un verre d’eau versée sur les braises de l’encensoir que le “Monde” (au sens johannique) balance devant un message en parfait accord avec son idéologie.
– II Des Hommes et des dieux. Quels hommes? Quels dieux?
Danielle Pister-Lopez
Une critique dithyrambique, relayée par un public fervent, a salué le film de Xavier Beauvois”Des hommes et Des Dieux”, Prix spécial du jury du Festival de Cannes 2010. Le scénario concentre sur quelques semaines, des événements qui se sont déroulés sur les trois années précédant l’enlèvement et l’assassinat, particulièrement barbare, des moines trappistes du monastère de Notre-Dame de l’Atlas de Tibhirine, en 1996.
Faute de pouvoir sonder les reins et les cœurs, il n’est pas question ici de juger de l’engagement de ces moines. Ni la volonté éradicatrice des terroristes du GIA, ni les ambiguïtés du gouvernement d’Alger n’ont pu les décider à abandonner la terre et le peuple algériens auxquels ils avaient consacré leur vie. En revanche, le message véhiculé par ce film, largement mis en avant par son réalisateur, complaisamment répercuté par tous les medias et appuyé par les Eglises de France et d’Algérie, pose problème.
Pendant deux heures, le spectateur partage la vie quotidienne des moines: prières communes, méditations solitaires sur les textes sacrés, travail de la terre, soins médicaux et aides de toutes sortes apportées aux villageois, dont ils partagent les joies et les peines. Le cheminement spirituel de ces hommes, incarné par des comédiens inspirés, partagés entre l’angoisse de la mort prochaine et la volonté d’accomplir leur mission jusqu’au bout, sonne assez juste. Très vite cependant, au-delà de cette réflexion hautement philosophique, se dégage une thèse, celle de la quasi gémellité de l’Islam et du Christianisme, suggérée par la mise en parallèle constante de situations et de personnages: la prière prononcée par un iman, en présence des moines, ponctuée par un « Amen » collectif, pourrait sortir tout droit de l’Evangile, n’était son remerciement adressé à Dieu pour la victoire sur les infidèles, dont font partie ses hôtes ! De son côté, le prieur promet à un vieux villageois reconnaissant, de prier pour sa petite-fille assassinée. D’ailleurs, on le voit consulter le Coran autant, sinon plus, que les textes chrétiens. Cet œcuménisme prend une tournure dérangeante avec la venue du chef terroriste : le prieur l’empêche d’emmener avec lui le vieux moine médecin, en lui rappelant un verset du Coran dont le terroriste récite la fin. Cette parole partagée établit une sorte de communion spirituelle entre ces deux « fous de Dieu ». Le rebelle se hisse au niveau de respectabilité de l’homme de paix. Au contraire, les militaires algériens, brutaux, obtus, cherchent à prendre en faute les religieux pour les obliger à partir.
Cette dimension politique s’affirme avec le Walli: faussement prévenant, il livre la clé de la situation: « Tout cela est la conséquence de la colonisation. » Vieille rengaine du pouvoir algérien, depuis bientôt un demi-siècle, pour se défausser de ses responsabilités dans le désastre actuel de l’Algérie, sur la France. Mais rien ne vient corriger cette affirmation que le spectateur peu averti (ou plutôt intoxiqué par les medias) prendra pour argent comptant.
Les relations entre moines et villageois sont idéalisées : « Nous sommes les oiseaux et vous êtes la branche ; si vous partez, sur quoi nous poserons-nous ? » demande une femme aux moines. Cela va jusqu’à l’invraisemblance: dans ce contexte rural, en pleine montée islamique, une jeune fille oserait-elle se rendre seule au monastère et les femmes se faire soigner par un homme, fût-il un vieux moine ? Par ignorance, ou par complaisance, l’intolérance religieuse de l’Etat algérien est occultée: sonnerie des cloches ou moines en costume religieux tenant un stand au marché, sont hautement improbables. Dès l’indépendance, la loi a strictement interdit toute manifestation religieuse, autre que musulmane, sur la voie publique. Jamais un religieux n’oserait se signer devant le corps d’un chef rebelle musulman et commencer à prier, comme le fait le prieur dans le film, face à un officier algérien rendu furieux.
Xavier Beauvois a dénoncé, sur une radio, l’intolérance de l’Occident, en rappelant que, lorsque la France votait la loi contre la burqa, des ouvriers marocains fabriquaient, pour lui, une statue de la Vierge. Il affirmé, sans vergogne, qu’il avait tourné son film au Maroc uniquement pour la beauté du paysage. Angélisme confondant, ou militantisme tiers-mondiste? Sans doute, concession au politiquement correct. Une carte géographique portant la mention, « Pour un monde solidaire », est ostensiblement visible dans la salle où se réunissent les moines, là où on attendrait une image pieuse. Jamais l’Etat algérien, et sa duplicité, ne sont dénoncés, et on ne peut que sursauter en lisant, sur l’écran de fin, que l’assassinat des moines, dont la décapitation est passée sous silence, reste « mystérieux ». Que l’Algérie s’oppose toujours au retour de moines à Tibhérine, qu’un prêtre vienne, une fois par semaine depuis Alger, pour entretenir le lieu, sous l’étroite surveillance de l’armée algérienne, ne semble troubler aucune bonne âme.
Ce bon père, Jean-Marie Lassausse, que l’on a pu voir, sur France 2, aider les villageois à égorger rituellement un mouton pour l’Aïd, publie opportunément son témoignage intitulé, Le Jardinier de Tibhérine. Loin de mettre en cause le sectarisme religieux algérien, il rejette la faute de la répression exercée actuellement contre les chrétiens sur les Evangélistes; ce qui revient, dans ce contexte tendu, à les désigner à la vindicte politique et populaire, en toute charité chrétienne.
Reste le climat particulier du film, comme hors du temps. Le rythme lent de son déroulement, les chants religieux, la mise en scène des corps suppliciés des terroristes, rappelant la représentation des martyrs, ou de descentes de Croix dans la peinture religieuse classique, peuvent emporter l’adhésion, non sans ambiguïté: une Passion du Christ, surgie dont ne sait où, et contre laquelle se blottit Frère Luc, suggère la fin prochaine des moines et l’acceptation douloureuse de leur sort. Ne sont-ils pas, eux aussi des rebelles, à leur façon, eux qui soignent ceux qui tuent? Mais alors, où se situe la frontière entre le Bien et le Mal?
La recherche esthétique peut toucher, ou fortement agacer: la dernière image montre ces hommes gravissant leur « Golgotha », et disparaissant progressivement dans le brouillard. L’évidence du symbole finit par anéantir l’effet recherché, à l’instar du dernier repas, -la Cène selon la critique-, où chaque plan, à force de vouloir démontrer, souligne l’intention plus qu’il ne crée l’émotion. L’art véritable sait se faire oublier.
On peut être étonné, sinon inquiet, que personne ne relève la leçon de dhimmitude intellectuelle que renferme, en filigrane, ce film: l’Islam est bon, le peuple algérien généreux, et les Occidentaux n’ont rien compris à la leçon d’humanité dont ils sont porteurs. Seuls quelques justes ont saisi l’étroite identité spirituelle entre croyants musulmans et chrétiens. Mgr Tessier, archevêque honoraire d’Alger, célèbre ainsi, dans Le Figaro,les séminaires qui réunissent régulièrement chrétiens et soufistes en Algérie.
Qu’espère cette Eglise en couvrant, par son discours lénifiant, l’intolérance criminelle du pouvoir algérien? Le hasard fait que la sortie de ce film coïncide avec l’incroyable histoire de la gargouille lyonnaise: non pas qu’il faille s’indigner qu’on lui ait donné les traits d’un musulman, mais parce que, sur la Primatiale des Gaules, la cathédrale Saint-Jean de Lyon, et à son sommet, figure désormais l’inscription « Allah akbar ». Elle ne signifie pas seulement que Dieu est le plus grand; mais elle affirme que le Dieu de l’Islam est le plus grand. C’est par ce cri que les Arabes ont donné le signal des massacres de chrétiens et de juifs depuis le VIIème siècle, et continuent de le faire aujourd’hui. Le clergé local (avec l’accord tacite du cardinal Barbarin?) a applaudi au nom d’une tradition remontant au Moyen âge. Comment peut-il, cependant, ignorer le signe désastreux envoyé par une Eglise qui semble se soumettre ainsi au message de Mahomet? A cette aune, Hors-la-loi devient presque anecdotique, car même Le Monde a reconnu sa médiocrité cinématographique.
Danielle Pister-Lopez
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Nous ajoutons à l’analyse ci-dessus, celle qui suit, venant d’un Algérien chrétien, trouvée dans le “Salon-Beige” le 4 mars 2011 :
“Faut-il que la France ait à ce point renié son baptême pour que ce soient des athées qui la cathéchisent?
Ceux qui comme moi ont connu les moines de Tibehrine -je suis originaire d’Algérie- savent que ces derniers étaient tout sauf en mission apostolique. Depuis longtemps déjà, à l’instigation du frère Christian de Chergé, ils versaient dans l’islamophilie prononcée et cherchaient à tout prix à lier dans l’esprit Christianisme et Islam. De Chergé était de ceux qui percevaient dans le dieu de l’Islam celui de l’Alliance et considérait le Issa du Coran comme une autre façon d’aborder Jésus, le “soumis” selon lui.
N’allez pas trop vite, parce qu’un film de propagande oeuvre d’un athée aux idéaux gauchistes vous l’intime, décerner aux moines assassinés les palmes du martyre. Son film au contraire assure le triomphe du politiquement correct et contribue, comme son discours aux Césars à imposer l’islam comme le partenaire avec lequel on n’a d’autre choix que le dialogue, fut-ce au prix de l’autruchisme.
Il est pourtant des absents de poids dans cette fiction manipulatrice : les chrétiens autochtones. Pas une seconde, son film orienté n’y fait allusion. Ils sont purement et simplement niés, maintenus dans l’ombre d’où nul ne doit surtout les voir. Car ils détruisent irrémédiablement le message révisionniste du cinéaste. Avec eux, plus question dialogue avec l’islam. Ils en subissent les assauts vengeurs, ce que la communauté chrétienne tout entière en Algérie savait. Dont les moines. De moines en paix avec les musulmans, ça veut dire des moines indifférents au sort des chrétiens indigènes. Et tel était le cas. Car en guise de paix, les chrétiens du pays sont en proie à maints tourments et sont rejetés par leur peuple pour cause de “trahison”, d’apostasie et sont traités de harkis et de suppôts de la France tandis que les moines, eux, assimilés à des étrangers, étaient tolérés comme chrétiens.
Les chrétiens d’Algérie dont je fais partie n’ont jamais trouvé en les frères trappistes tués le plus petit début de soutien. Pas une allusion à leur sujet dans le moindre document rédigé par ces derniers, plus préoccupés par le syncrétisme islamo-chrétien que par la propagation, l’enseignement et le partage des Evangiles, conformément à leur vocation. Si les moines ont vécu dans une paix relative avec les musulmans, c’est parce qu’ils se sont gardés de faire montre de sollicitude et d’amitié à l’égard des chrétiens locaux, cibles de la haine musulmane.
Ce film sur des chrétiens en Algérie réinvente pour un public français l’histoire d’un pays dont ils ne connaissent pas la situation contemporaine. Et ils tombent dans le panneau sans même le réaliser, trop subjugués par un récit taillé sur mesure pour les berner. En présentant comme dévoués des prêtres chrétiens pour qui le Coran était admirable et inspirant, plutôt que de révéler leur sympathie pour l’islam et leur désintérêt pour les chrétiens d’Algérie en dépit de tout ce qu’ils enduraient et endurent encore, on abandonne ceux qui méritent la compassion et la solidarité des chrétiens de France, et on encense ceux qui prêchent un coupable rapprochement avec le dogme qui pourtant attaque le fondement même de la foi chrétienne : la nature divine du Christ, sa Passion rédemptrice, et sa Résurrection triomphale.
Valider la thèse de ce film, qui est une fiction faut-il le redire, et non un documentaire, c’est accréditer le message d’un réalisateur tendancieux et dont le film est tout aussi mensonger que le Amen de Costa-Gavras, mais dans une sens tel que les chrétiens de France s’en réjouissent et ne le rejettent pas. C’est toute la force de la mystification.
Il est ici bas des chrétiens anonymes qui le méritent infiniment plus d’être reconnus comme martyrs et témoins de la foi qui sont entrés dans la gloire du Père sans cors ni ors. Mais des personnages tels Xavier Beauvois ne feront jamais de film pour le montrer.
Rédigé par : Chrétien d’Algérie | 04 mars 2011 à 15:22
Chrétien d’Algérie
erratum :
“…réinvente pour un public de Français…”
Rédigé par : Chrétien d’Algérie | 04 mars 2011 à 15:26
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