À l’occasion de ce jour anniversaire de la naissance au ciel des saintes Perpétue et Félicité, célébré le 7 mars par l’Eglise, et à la veille du 8 mars, journée mondiale de la femme, nous proposons à nos visiteurs, pour rendre hommage à toutes les femmes cette passion (ou martyre) écrite par Perpétue elle-même : 203 après J.-C.
Cinq jeunes catéchumènes sont arrêtés à Thuburbo, ville de l’actuelle Tunisie : Vibia Perpétua, âgée de 22 ans environ et d’une famille aisée, marié avec un fils encore à la mamelle ; Félicité et Révocatus, de condition servile ; Saturninus et Secundulus de condition modeste mais libres.
Leur tort ? Ils ont enfreint le bref édit de Néron (64 après J.-C.) toujours en vigueur : « Il n’est pas permis d’être chrétien ». De fait les persécutions contre les chrétiens s’assoupissaient un temps, puis reprenaient avec plus de vigueur.
SUR CETTE PAGE D’ACCUEIL, NOUS RELATONS LE RECIT DE STE PERPETUE “jusqu’à la veille des jeux”. S’Y TROUVE INTERCALE LA CONDAMNATION PAR LE TRIBUNAL.
PERPETUE DIT ENCORE: “Quant aux circonstances du combat de demain, dans les jeux, les écrive qui voudra !….”
>CETTE PARTIE SE TROUVE DANS LA RUBRIQUE “TEMOIGNAGES”
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>>>>>>>>>>> En hommage à Hamid
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Voici le récit que fait Perpétue de leur martyre, qui est suffisamment parlant :
« Nous étions encore avec nos surveillants. Mon père, dans l’affection qu’il me portait, vint faire de nouveaux efforts pour me déterminer à change de résolution, s’obstinant par ses paroles à ébranler ma foi. […]
Comme je disais [à nouveau] que mon vrai nom ne peut être que « chrétienne », mon père, hors de lui, se jeta sur moi comme pour m’arracher les yeux ; mais il se contenta de me maltraiter et me quitta vaincu avec ses arguments diaboliques. Pendant plusieurs jours, je ne revis pas mon père et j’en rendis grâces au Seigneur ; son absence m’était un vrai soulagement.
Ce fut précisément pendant les quelques jours que dura l’absence de mon père que nous fûmes baptisés. Pour moi la seule chose que je demandai, sous l’inspiration du Saint Esprit pendant que j’étais dans l’eau sainte, c’est la force de résistance aux peines corporelles.
Quelques jours plus tard, nous fûmes transférés dans la prison de Carthage. J’en fus épouvantée, car jamais je ne m’étais trouvée dans de pareilles ténèbres. Ô jour pénible ! Il faisait une chaleur étouffante par suite de l’entassement des prisonniers. De plus, nous étions tourmentés par les soldats qui cherchaient à nous extorquer notre argent. Enfin, j’étais dans de cruelles inquiétudes au sujet de mon enfant.
Tertius et Pomponius, les diacres vénérés qui prenaient soin de nous, obtinrent à prix d’argent qu’on nous accordât d’aller chaque jour pendant quelques heures dans une partie moins affreuse de la prison pour nous remettre. À ce moment-là, tous les prisonniers qui avaient obtenu de sortir du cachot pouvaient faire ce qu’ils voulaient. Pour moi, j’allaitais mon petit enfant à demi mort de faim ; inquiète pour lui, je le recommandais à ma mère ; réconfortais mon frère. Je me consumais de chagrin en voyant les miens souffrir à cause de moi.
Cela se prolongea de la sorte pendant bien des jours.
J’obtins enfin que mon enfant demeurât avec moi dans la prison. Aussitôt, il reprit des forces, et moi je fus délivrée des peines et des inquiétudes qu’il m’avait causées. Le cachot devint pour moi comme une maison de plaisance, et m’y trouvais mieux que partout ailleurs.
Un jour, mon frère me dit :
– Madame ma sœur, tu es maintenant élevée à une grande dignité. Demande à Dieu de te montrer dans une vision ce qui vous attend : le martyre ou la mise en liberté.
Moi, qui avais des entretiens avec le Seigneur de qui j’avais reçu tant de bienfaits, je le promis à mon frère, et luis dis, en toute confiance :
– Demain, je te dirai cela.
Alors je priai, demandant la vision, et voici ce qui me fut montré :
Je vis une échelle d’airain si haute qu’elle s’élevait jusqu’au ciel, et si étroite qu’on pouvait y monter seulement un à un.
Aux montants de l’échelle étaient fixés des instruments de fer, de toute sorte, des glaives, des lances, des piques, des crocs, des coutelas disposés de façon que si quelqu’un était monté sans précaution, sans regarder au-dessus de sa tête, il eût été déchiqueté et eût laissé des lambeaux de sa chair accrochés à toutes ces pointes. Au pied de l’échelle était couché un gigantesque dragon qui tendait des embûches à ceux qui gravissaient l’échelle, et les épouvantait pour les empêcher de monter.
Saturus monta avec moi. Il s’était livré lui-même à cause de nous ; car c’est lui qui nous avait convertis et, lors de notre arrestation, il était absent.
Parvenu au sommet de l’échelle, il se tourna vers moi et me dit :
– Perpétue, je veille sur toi, mais prends garde de te laisser mordre par le dragon.
Je répondis :
– Au nom de Jésus-Christ, il ne me fera pas de mal.
De dessous l’échelle, le dragon dressait lentement la tête, comme s’il avait peur de moi ; mais moi, sans crainte, comme si je prenais mon élan pour gravir le premier échelon, je lui écrasai la tête d’un coup de talon. Puis, je montai.
Arrivée au sommet, je vis un jardin immense. Au milieu était assis un home de haute taille, à cheveux blancs, vêtu comme un berger, occupé à traire ses brebis. Autour de lui se tenaient devout plusieurs milliers de personnes en robes blanches. Le pasteur leva la tête, m’aperçut et me dit :
– Tu es la bienvenue, mon enfant.
Il m’appela et m’offrit une bouchée de lait caillé. Je joignis les mains pour la recevoir et je la mangeai pendant que tous les assistants disaient : Amen.
Je m’éveillai au bruit de ces voix et j’avais encore dans la bouche quelque chose de très doux.
Je racontai aussitôt la vision à mon frère, et nous comprîmes ce qui nous attendait : le martyre. Dès lors, je n’espérai plus rien des choses de ce monde.
Quelques jours plus tard, le bruit se répandit que nous allions être jugés. Mon père, accablé de douleur, accourut de Thuburbo et vint me voir afin de m’ébranler. Il me disait :
– Ma fille, aie pitié de mes cheveux blancs ; aie pitié de ton père, si je suis encore digne que tu m’appelles de ce nom. Si je t’ai élevée de mes mains jusqu’à la fleur de ton âge, si je t’ai préférée à tous tes frères, ne fais pas de moi un objet de mépris parmi les hommes. Songe à ta mère, à tes frères, à ta tante ; songe à ton fils sans toi, il ne pourra vivre. Renonce à ta résolution, ne cause pas notre ruine à tous. Aucun de nous n’osera plus élever la voix si tu es condamnée au supplice.
Ainsi parlait mon père dans son affection pour moi. En même temps, il me baisait les mains, il se jetait à mes pieds, il pleurait, m’appelant non plus « ma fille », mais « Madame ». Et moi je plaignais mon père, parce que lui, seul de toute ma famille, ne se réjouissait pas de ma passion. J’essayais de le réconforter, lui disant :
– Il arrivera, sur l’estrade du tribunal, ce que Dieu voudra. Sache bien, en effet, que notre sort ne dépend pas de nous, mais de Dieu.
Il me quitta bien affligé.
Un autre jour, pendant notre repas, on nous entraîne soudain pour l’interrogatoire. Nous arrivons au forum. Le bruit s’en répand aussitôt aux environs. Une foule immense accourt.
Nous montons sur l’estrade.
Ici nous intercalons le récit d’un chrétien anonyme, présent à l’audience.
HILARIANUS (le juge procurateur) : Sacrifiez aux dieux, comme l’ont ordonné les immortels empereurs.
SATURUS : Mieux vaut sacrifier à Dieu qu’aux idoles.
HILARIANUS : Réponds-tu en ton nom ou au nom de tous ?
SATURUS : Au nom de tous, car nous n’avons qu’une même volonté.
Hilarianus s’adressant aux quatre autres chrétiens :
– Et vous, que dites-vous ?
TOUS : C’est vrai, nous n’avons qu’une même volonté.
Hilarianus ordonna d’éloigner les femmes et dit à Saturus :
– Jeune homme, sacrifie, ne te crois pas meilleur que nos princes.
SATURUS : Je serai le meilleur aux yeux du vrai Prince des temps présents et futurs si je mérite de lutter et de souffrir pour Lui.
HILARIANUS : Crois-moi, jeune homme, change d’avis et sacrifie.
SATURUS : Non, je ne sacrifie pas.
Hilarianus dit alors à Saturninus :
– Sacrifie, jeune homme, si tu veux vivre.
SATURNINUS : Je suis chrétien, je ne le puis.
Hilarianus dit alors à Révocatus :
– Et toi aussi, sans doute, tu parleras de même ?
REVOCATUS : Oui, grâce à Dieu, je n’ai pas d’autres sentiments.
HILARIANUS : Sacrifiez, sinon je vous ferai mourir.
REVOCATUS : Nous prions Dieu de mériter cette grâce.
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Le procurateur ordonne d’emmener les accusés et d’introduire les deux femmes.
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HILARIANUS : Comment t’appelles-tu ?
FELICITE : Mon nom est Félicité.
HILARIANUS : As-tu un mari ?
FELICITE : Oui, mais il n’est pas ici.
HILARIANUS : De quelle condition est-il ?
FELICITE : Il est esclave comme moi.
HILARIANUS : As-tu des parents ?
FELICITE : Non, mais Révocatus est mon frère. Et quels parents meilleurs que ceux-ci pourrais-je avoir ?
HILARIANUS : Aie pitié de toi-même, jeune femme, et sacrifie afin de vivre, car je vois que tu es enceinte.
FELICITE : Je suis chrétienne et prête à mourir pour l’amour de mon Dieu.
HILARIANUS : Prends donc souci de toi-même, car j’ai pitié de toi.
FELICITE : Fais ce que tu voudras, tu ne me persuaderas pas.
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Ici nous reprenons le récit de sainte Perpétue.
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Tous quatre ayant confessé leur foi, ce fut mon tour d’être interrogée. Tout à coup, mon père apparaît portant mon fils dans ses bras. Il me tire de ma place et me dit d’un ton suppliant :
– Sacrifie, par pitié pour l’enfant.
Puis c’est le tour du procurateur Hilarianus qui avait reçu le droit de glaive à la place du proconsul défunt Minucius Timinianus.
– Aie pitié des cheveux blanc, de ton père, me dit-il, aie pitié de la jeunesse de ton fils. Sacrifie pour le salut des empereurs.
Moi je réponds :
– Je ne sacrifie pas.
Alors Hilarianus :
– Es-tu chrétienne ?
Je réponds :
– Je suis chrétienne.
Comme mon père restait là pour me faire renier, Hilarianus ordonna de le chasser. On le tira en bas de l’estrade, et il fut frappé d’un coup de verge. Je ressentis le coup porté à mon père, comme si c’était moi qu’on eût frappée, tant je plaignais mon Vieux père.
Alors le juge prononça sa sentence : Nous sommes tous condamnés aux bêtes.
Tout joyeux, nous descendons dans la prison. Comme mon enfant prenait encore le sein et était accoutumé à rester avec moi dans la prison, j’envoyai aussitôt le diacre Pomponius à mon père pour demander l’enfant. Mais mon père refusa de le donner. Il plût à Dieu que mon fils ne demandât plus le sein et que je ne fusse pas incommodée de mon lait. Ainsi je ne fus tourmentée ni par des inquiétudes sur le sort de mon enfant, ni par des douleurs de sein.
Peu de jours après [cette vision, non rapportée], le soldat Pudens, préposé à la garde de la prison, se montra fort bienveillant pour nous, se rendant compte que nous étions comblés d’une grâce divine ; il laissait parvenir jusqu’à nous beaucoup de nos frères, ce qui nous permettait de nous réconforter mutuellement.
Comme le jour des jeux approchait, mon père revint me voir. Il était consumé de chagrin, il s’arrachait les cheveux, se jetait à terre, maudissant sa vieillesse et disant des paroles qui auraient ému n’importe quelle créature. Et moi je pleurais sur sa vieillesse infortunée.
La veille du jour fixé pour le combat, j’eus [une autre vision] […]
À ce moment, je me réveillai. Je compris que je lutterais, non contre les bêtes, mais contre le Démon, et je savais que je serais victorieuse.