…ou des Amazighs, demeure encore la question : quel fut son nom ? Article publié sur la page Facebook de Notre-Dame de Kabylie, le 22/08/2016. À ce jour, en effet, le terme générique pour dire Dieu en kabyle, la “taqvaylit”, se limite, en dehors des Touaregs, à Ṛebbi,qui signifie “Maître“, “Seigneur“. La racine [RB(Y)] se rattache, du reste, au verbe “éduquer”, “élever correctement”, comme on peut le voir sur le dictionnaire Dallet ci-dessous.

- – Pourquoi cette absence de distinction entre le Seigneur et la divinité, comme dans les langues européennes ?
Certains locuteurs kabylophones, devenus chrétiens, veulent absolument avoir deux termes. Indépendamment de la possibilité qu’on peut, pour les besoins d’une traduction plus claire, avoir besoin de deux termes, il faut tenir compte du fait que la conception des anciens Amazighs (1), inclus dans l’univers linguistique du monde chamito-sémitique, pouvaient considérer que Dieu est à la fois “Père” et “Seigneur”.
Dieu étant autant maître et seigneur que paternel dans le sens d’éducateur ; dans le sens aussi de “Celui dont nous procédons” qui nous crée et nous donne la vie. La langue kabyle a gardé trace de cette idée dans les formules d’appartenance : vu/wu bu/pu, tel que vu-meẓẓuɣ. Les Kabyles disent, du reste, aussi bien “Dieu” que “Papa Dieu” dans la formule “Vava-Ṛebbi” ou Ṛebbi tout court.
L’expression courante pour dire de quelque parent, oncle ou cousin âgé, qu’il n’est pas “mon maître” est la même que pour dire qu’il n’est pas “mon Dieu” : mačči d Ṛebbi iw !
Ou s’il l’est ce serait de dire “celui-là c’est ton Dieu” : winna d Ṛebbi ik ! Le sous-entendu étant “comme s’il était ton Dieu”.
Jésus, cependant, distingue entre entre trois titres honorifiques, en nous conseillant dans st Matthieu 23: 08-10 : Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. 09 Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. 10 Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
De sorte que les deux titres de Rabbi et de maître reviennent au Christ ; et celui de Père revient bien à notre Père et Créateur.
- L’autre idée est de penser que les anciens Amazighs auraient perdu du vocabulaire, avec l’arrivée de l’islam et de l’introduction de mots et de formules religieuses issus de la langue arabe.
Ce travail de recherche est de longue haleine. Il a été mené par les linguistes et historiens Français au cours de la période coloniale en Algérie. Cette recherche du nom de Dieu chez les Berbères a notamment occupé des chercheurs religieux, tels certains pères-blancs bien connus en Kabylie et, sans doute encore plus connu st Charles de Foucauld. Mais pas qu’eux, puisqu’il y a eu les linguistes et ethnologues, ou sociologues, tels que Germaine Tillion, Pierre Bourdieu, André Basset, Renan et d’autres plus orientés vers l’histoire de l’Afrique du nord.
Le geste religieux du roi Numide, ou “agellid”, Massinissa.
MASSINISSA est le roi le plus connu des Amazighs actuels. Mouloud Mammeri, le grand chercheur et linguiste kabyle, a proposé de donner la signification de MASS N SEN (leur Seigneur) au nom du roi berbère, en conformité avec le libyque ⵎⴵⵏⴵⵏ, trouvé sur son mausolée de Dougga en Tunisie (2).
Cependant cela fait peu de cas de la vocalisation latine (2 “i” et 2 “a”), d’une part et, d’autre part, cela indiquerait que Massinissa a été divinisé, qu’il est dieu comme certains empereurs romains.
Or ce n’est pas le cas si nous considérons le texte de Cicéron, rapporté par Gabriel Camps (3). Il écrit :
Lorsque Massinissa, pourtant imprégné de culture punique, accueille Scipion, ce n’est ni Baal Hammon, ni Tanit, ni Melqart qu’il invoque :
“Je te rends grâces, Soleil très haut et vous autres divinités du Ciel, de ce qu’il me soit donné avant de quitter la vie d’ici-bas de voir sous mon toit, dans mon royaume, P. Cornelius Scipion…“
Voilà donc la question à résoudre: quel est le nom du “soleil” en berbère, avant de revenir à la signification du nom de Massinissa ?
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(1) Le problème de Dieu est très ancien dans les sociétés berbères. Ou les Amazighs / Imazighen, ⵉⵎⴰⵣⵉⵖⴻⵏ ; ou les Nord-Africains ou les Maures et les Numides ; ou les Libyens, leur premier nom à apparaitre dans l’histoire grâce aux auteurs grecs, auxquels les Égyptiens ont transmis leurs connaissances, que rapporte le père de l’histoire, comme est appelé Hérodote.
(2) La proposition de Mammeri, cependant, bien qu’intéressante, n’explique pas pourquoi le mot latin de MASSINISSA [M.S.N.S.] n’a pas deux “N” mais un seul ; tandis que le mot écrit en “tifinagh” (ou libyque) sur la stèle, en comporte bien deux : ⵎⴵⵏⴵⵏ
(3) In “Les Berbères, mémoire et identité, éditions Errance.