Cette étude fait suite à l’article intitulé “Les Larmes de Marie, le Sacrifice de son Fils et le symbolisme de la goutte d’eau versée dans le vin du calice” (Notre-Dame de Kabylie, 06- 04-2021), article qui reproduit le texte complet du livret “Les Larmes de Marie” (fichier pdf), dont l’auteur est Léon Bloy (11/07/1846 – 03/11/1917).
Remarque liminaire. Cette étude a recours à des “liens hypertexte” sous forme de lignes bleues (équivalent aux références à la fin d’un texte), permettant d’accéder (uniquement via un écran), par Ctrl+clic sur l’une de ces lignes, aux sources utilisées, à la définition d’un terme, ou à la justification d’une affirmation. Une copie “papier” de cette étude ne permet pas d’obtenir le complément d’information donné par ces “liens“.
Ce livret (7 pages) est la troisième partie du texte “Le Symbolisme de l’Apparition” (1879-1980), formé de trois parties liées à l’apparition de la Vierge Marie à La Salette (19-09-1846, détails: Ctrl+clic sur Ce Lien). La première partie traite spécifiquement du symbolisme des “révélations” de La Salette. La deuxième est intitulée “Paraphrase du discours“. La troisième partie, “Les Larmes de Marie“, est consacrée à l’atroce situation vécue par la Mère de Jésus, en larmes, face à son Fils couronné d’épines, mains et pieds cloués sur la croix, et à la souffrance résultante (additionnelle à celle du corps d’un crucifié) de Jésus devant l’affliction de Sa Mère. Cette nouvelle étude de Notre-Dame de Kabylie, est une tentative d’analyse, et de compréhension de cet extrait, où l’auteur livre à notre attention des lignes plutôt inattendues:
“Les Larmes de Marie sont le Sang même de Jésus-Christ, répandu d’une autre manière comme sa Compassion fut une sorte de crucifiement intérieur pour l’Humanité sainte de Son Fils. Les Larmes de Marie et le Sang de Jésus sont la double effusion d’un même cœur, et l’on peut dire que la Compassion de la Sainte-Vierge était la Passion sous sa forme la plus terrible. C’est ce qu’exprime ces paroles adressées à sainte Brigitte :”l’affliction du Christ était mon affliction parce ce que Son cœur était mon cœur; car comme Adam et Eve ont vendu le monde pour une seule pomme, mon Fils et moi, nous avons racheté le monde avec un seul cœur“.
Cette “tentative d’analyse” d’un texte de la fin du 19ème siècle est celle d’un catholique (sans titre de qualification en théologie, et sans aucun attrait particulier pour la littérature) auquel, il y a une cinquantaine d’années, le hasard a fait connaître le texte de Léon Bloy intitulé “Les Larmes de Marie“, depuis source d’une réflexion continue. A propos de Bloy, dont la vie a été marquée par la pauvreté, et le rejet, Georges Bernanos voyait en lui “le prophète des Pauvres, des vrais Pauvres, des derniers survivants de l’ancienne Chrétienté des Pauvres”. Il ajoutait “Le misérable dégradé, déshumanisé par la misère ne peut plus porter témoignage que de l’effroyable injustice qui lui est faite, mais le Pauvre est le témoin de Jésus-Christ” (LIRE). Ce sort fait aussi penser à la vie de l’écrivain catholique canadien Michael O’Brien, “père de six enfants, dans une totale insécurité économique, au plus bas de l’échelle sociale de son pays” (CF), chez qui, comme pour Bloy, on retrouve dans ses écrits le souffle de Soljenitsyne. Il est intéressant de noter que Bloy est le premier auteur cité par le pape François, dans sa première homélie pontificale (” Gaudete et exsultate “, 09/04/2018) : “Quand on ne confesse pas Jésus-Christ, me vient la phrase de Léon Bloy : “Celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le diable. Quand on ne confesse pas Jésus-Christ, on confesse la mondanité du diable, la mondanité du démon. […] Il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints“. Il semble que, dans cette homélie, le pape (qui ne cite pas Bloy pour son texte “Les Larmes de Marie“) ait été inspiré par les textes traitant de la pauvreté, la misère, la bourgeoisie, notamment Le Désespéré et La Femme Pauvre. Par contre, le pape a expliqué le sens des larmes de la Vierge Marie à La Salette, comme un appel à la miséricorde: « Les larmes de Marie font penser aux larmes de Jésus sur Jérusalem et à son angoisse à Gethsémani. Elles sont le reflet de la douleur du Christ pour nos péchés et un appel toujours actuel à nous confier à la miséricorde de Dieu. »
L’historien de la littérature, Pierre Glaudes est l’auteur de deux ouvrages consacrés à Léon Bloy : L’œuvre romanesque de Léon Bloy (Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2006), et Léon Bloy, la littérature et la Bible (Les Belles Lettres, 2017). Dans le cadre du centenaire de la mort de Bloy (03-11-2017), l’interview de Glaudes (Le Figaro Vox Culture Ctrl+clic sur ce lien, ligne bleue soulignée) “raconte le parcours, les amitiés, les rencontres et la vie d’un écrivain mystique, pamphlétaire de génie et pourfendeur de la modernité“).
Les lignes, qualifiées “inattendues” (dans le texte ci-dessus en retrait), mettent en lumière l’existence d’une souffrance de Jésus, indépendante de celle de la crucifixion (le plus atroce des supplices inventés par la cruauté des hommes), celle provoquée par les larmes Sa Mère:
– “Sa Compassion fut une sorte de crucifiement intérieur pour l’Humanité sainte” de Son Fils pouvant se comprendre à partir de la formule christologique « Jésus vrai Dieu et vrai homme » (concile de Chalcédoine, 451), d’où la souffrance des trois composantes qui font l’Humanité : corps, intelligence et âme.
– “La Compassion de la Sainte-Vierge était la Passion sous sa forme la plus terrible”.
Ces lignes “entrent en résonance” avec d’autres expressions du texte en format pdf (à la fin de cette partie introductive) expressions se mettant mutuellement en valeur:
– “A quelle profondeur ne faut-il pas entendre que nous sommes fils des Larmes de la Créature d’exception qui a reçu l’incomparable privilège, en tant que Mère de Dieu, d’offrir au Père éternel une réparation suffisante pour le crime sans nom ni mesure qui servit à Jésus à accomplir la rédemption du monde ?“
– “Les tressaillements gigantesques du Cœur de ce même Dieu incarné, dépouillé, crucifié, abandonné et mourant”.
– “Il y a là une émulation de douleurs et une rivalité de supplices“
– Souffrance que le Rédempteur doit subir “de la main de Celle qu’Il a choisie dès le commencement, pour être le ministre innocent de la plus cruelle partie de son supplice”
Ceci se voit mieux, en reprenant l’ensemble du texte englobant les trois dernières citations données ci-dessus (en retrait), lignes sublimes, issues de la foi et du talent de leur auteur:
“Lorsque Dieu fait dire par ses prophètes à Josias et à Ezéchias: « Je vous fais grâce parce que vous avez pleuré devant moi et que j’ai vu vos larmes (IV Reg. XXII, 19; II Par. XXXIV, 27; IV Reg. XX, 5; Isaïe XXXVIII, 5, note de Léon Bloy), lorsque Ses entrailles de Dieu et de Père s’émeuvent de toute larme d’amour ou de repentir du moindre de ses enfants, quels doivent être les tressaillements gigantesques du Cœur de ce même Dieu incarné, dépouillé, crucifié, abandonné et mourant, quand c’est Sa Mère qui pleure devant lui dans la Station sublime, et qu’Il voit Ses Larmes? Ces Larmes, consanguines de son Humanité Sainte et armées contre lui de la toute puissance d’impétration pour un univers frappé de folie, s’élèvent comme une multitude de vagues autour de la croix solitaire. Il y a là une émulation de douleurs et une rivalité de supplices que les anges même ne sont peut-être pas assez purs pour contempler.
Avant que tout soit consommé, quand les prophéties anciennes ont achevé d’engendrer leurs effroyables accomplissements; lorsqu’après cinq mille ans d’humiliations, la Femme est enfin debout, devant l’arbre de vie, les pieds sur la tête du serpent et le front dans les douze étoiles, toute la descendance de l’infortuné premier homme, magnifiée en Elle, transparaît au travers de son cœur percé dans la surnaturelle splendeur de Ses Larmes. Le calice d’amertume infinie que Jésus priait Son Père d’écarter de Lui et qui épouvantait son âme sainte jusqu’à la sueur de sang et jusqu’à l’agonie: il faut maintenant qu’il le boive de la main de Celle qu’Il a choisie dès le commencement, pour être le ministre innocent de la plus cruelle partie de son supplice. Puisqu’il a dit qu’il avait soif il faudra qu’il le vide jusqu’à la dernière goutte et il ne lui sera permis d’expirer que lorsque toutes les larmes de toutes les générations seront sorties de ce véritable calice de Sa Passion qui s’appelle le cœur” de Marie. L’ange qui l’assistait la veille est remonté vers le Ciel, son Père vient de l’abandonner; la rigoureuse parole qui crie “Malheur à Celui qui est Seul! ” est accomplie en lui d’une manière infinie et sans exemple.
Sa Mère, même, lui est devenue comme une étrangère depuis qu’il s’en est dépouillé pour nous avant de demander à boire. Il est maintenant seul à seule et face à face avec Judith, cloué et sans défense. Le soleil matériel s’obscurcit déjà pour échapper à l’ineffable horreur de ce tête à tête silencieux, et les morts commencent à se démener dans leurs sépultures.”
La sublimité de ce texte évoquant une émulation de douleurs et une rivalité de supplices, due à la présence de Marie en larmes au pied de la croix, conduit à une interprétation :
Pour Jésus, cette “sorte de crucifiement intérieur” apparait donc comme un supplice additionnel à celui du corps. Ce supplice, engendré par les larmes de Marie, touche ici les composantes ” âme et intelligence ” de l’Humanité de Jésus. Implicitement pour Léon Bloy, ce supplice apparait comme la condition suffisante qui assure la plénitude du Sacrifice du Christ pour le Salut du Monde (cf. la page 3). Sans les larmes de Marie, et ce qu’elles provoquent chez son Fils Crucifié, un élément important au Sacrifice du Christ pour le salut du Monde aurait manqué. (Pour la condition suffisante : cf. page 2 du texte pdf après cette partie introductive : “la Créature d’exception qui a reçu l’incomparable privilège, en tant que Mère de Dieu, d’offrir au Père éternel une réparation suffisante pour le crime sans nom ni mesure qui servit à Jésus à accomplir la rédemption du monde“).
Bien entendu, il s’agit là d’une interprétation formulée sans le support d’aucune autorité issue des domaines de la théologie, ou de la littérature. Elle peut donc être contestable, et peut éventuellement donner lieu à une critique fondée de toute cette étude. [Autre reproche (fondé): la récurrence de certaines citations, choix volontaire d’une mise en parallèle d’extraits donnant lieu à un enrichissement réciproque du sens].
Cette interprétation (si elle acceptable) conduit à voir une “amplification” du sens de certains mots de cet extrait du Catéchisme de l’Église Catholique:-“dans l’Eucharistie, l’Église, avec Marie, est comme au pied de la Croix, unie à l’offrande et à l’intercession du Christ (n°1370). C’est en communion avec la Très Sainte Vierge Marie que l’Église offre le sacrifice eucharistique“. En effet, si nous associons, à ce texte, la pensée du supplice engendré par les composantes “intelligence et âme” de l’Humanité Sainte de Jésus (que Bloy ajoute à celui de la “composante corporelle“), on est tenté de dire que cet auteur “donne une autre dimension” au sens de “l’union de l’Église avec Marie“. Il en est de même pour le sacrifice eucharistique en se plaçant du point de vue de sa “substance” (sens de la philosophie scolastique). Bloy le suggère indirectement avec la phrase: “Il y a là une émulation de douleurs et de une rivalité de supplices” pour les deux acteurs de cette tragédie. Il le fait aussi en insistant sur l’atrocité de ce poignant, et silencieux, face à face entre le Fils, cloué sur une croix pour expier les péchés de ce Monde, et Sa Mère, Elle conçue Immaculée (Catéchisme de l’Église Catholique 490-493) qui, à son tour, mesure le prix à payer pour le Salut de ce Monde (cf. l’offrande d’une “réparation suffisante”).
Le symbole de la “goutte d’eau“, versée dans le vin du calice, a reçu plusieurs explications : union de l’Église au sacrifice du Christ, les deux natures du Christ, l’eau de son humanité jointe au vin de sa divinité, l’eau et le sang sortis de la plaie du côté du Christ, et “la messe est le sacrifice de toute l’Église et cette petite goutte d’eau dans le calice : c’est nous” (St Cyprien) Lire, et Aussi.
Réfléchir sur les textes de Bloy (cités plus haut) inspire un autre sens au symbole de la goutte d’eau, sens qui semble “absorber” tous les commentaires déjà faits, en prenant une nouvelle dimension: la “goutte d’eau”, versée dans le calice, est le symbole d’une seule larme de Marie, goutte du “Sang de son âme” qui, avec le Sang de Jésus, “sont la double effusion d’un même cœur“. Mélangée au vin (le Sang de Jésus), cette goutte d’eau devient alors le
contenu de ce “calice d’amertume infinie que Jésus priait Son Père d’écarter de Lui et qui épouvantait son âme sainte jusqu’à la sueur de sang et jusqu’à l’agonie” (ci-dessus le plus long texte en retrait). Avant d’expirer, calice qu’Il doit boire “de la main de Celle qu’Il a choisie dès le commencement, pour être le ministre innocent de la plus cruelle partie de son supplice“. En tant que Mère de Toutes les Douleurs, cette goutte d’eau (de la taille d’une simple larme) symbolise aussi toutes les Larmes que la Très Sainte Mère de Dieu a versées depuis la naissance de son Divin Fils, jusqu’à l’apogée de Sa Passion, et qu’elle continue à verser devant les péchés de ses enfants, dont l’extrême gravité les change parfois en sang.
En considérant de nouveau ce passage du Catéchisme de l’Église Catholique:
-“dans l’Eucharistie, l’Église, avec Marie, est comme au pied de la Croix, unie à l’offrande et à l’intercession du Christ (n°1370). C’est en communion avec la Très Sainte Vierge Marie que l’Église offre le sacrifice eucharistique“.
le sens de “l’union de l’Église avec Marie” se trouve aussi enrichi par l’image de la goutte d’eau, devenue une larme de Marie. Il en est de même pour le sacrifice eucharistique du point de vue de sa “substance” (philosophie scholastique).
Un texte pdf (téléchargeable) est joint à la fin de cette partie introductive. Page 5 de ce document: corriger l’erreur grammaticale “un élément important du Sacrifice du Christ pour le salut du Monde aurait ainsi manquait“, en “un élément important du Sacrifice du Christ pour le salut du Monde aurait ainsi manqué”
Dans ce texte pdf, une annexe (1) est consacrée à Léon Bloy et son œuvre. Il est intéressant d’y ajouter d’autres informations sur ses relations avec Jacques Maritain (figure centrale du thomisme au XXème siécle) qui, à propos de Bloy, a écrit “Les livres de Léon Bloy exercent sur certaines âmes une influence que l’art ou le génie ne suffisent pas à expliquer. Pour tourner les cœurs vers Dieu, il faut autre chose que la plus magnifique éloquence.”. Étudiant socialiste, athée, Maritain fut converti au catholicisme avec sa jeune épouse Raïssa par Léon Bloy, auquel il consacra une étude élogieuse. Sous l’influence de Bloy,il explora le désir de Dieu grâce à l’exercice philosophique uni à sa vie intime. Jacques et Raïssa (jeune juive qui a fui les pogroms en Russie) Maritain reçoivent le baptême en 1906. Léon Bloy est leur parrain.
Une annexe (2) traite de “Marie et la notion de “corédemption”. Bien que le terme ne soit pas utilisé dans Les Larmes de Marie, Bloy le cite une fois dans “Le Symbolisme de l’Apparition“. Il s’agit d’un “sujet sensible”. En effet, cette question donne lieu à des divisions entre catholiques. Pour certains d’entre eux, la place qu’occupe Marie (à Jésus par Marie) dans le culte que nous rendons à Dieu est un point de litige. Ils pourraient être tentés d’accuser Bloy de mariolâtrie.
Le document (PDF) ci-dessous donne accès à l’intégralité de l’étude.